23 collages de Rafael de Surtis rehaussent le texte du plus grand romantique français selon Baudelaire. Il l’honora et s’inspira de Gaspard de la nuit où l’auteur écrit :
« pendant trois autres jours et
trois autres nuits, je feuilletterai, aux blafardes
lueurs de la lampe, les livres hermétiques de
Raymond-Lulle ! ».
Pour Bertrand et De Surtis il n’existe jamais de tristes opulences aux vagues nocturnes. Les deux l’habitent et ne cessent d’y renaître plus que de s‘y noyer. Le dais la nuit est agité. L’esprit des ancêtres veille. Des géants se querellent et surgissent dans l’obscur. Face aux ténèbres hébétées de fatigue, le poète devient empereur de la nuit et l’artiste crée des arêtes à vif là où le réel et l’Histoire s’effritent dans le chaos fluide de l’ombre.
Dans la matrice de la nuit où Aloysius Bertrand se précipite, existe une lumière noire que les collages suscite. Des sentinelles vibrent. Le royaume déchu devient migratoire dans l’antre des mythes où gît la petite braise, l’attente de soi même.
Ici, la nuit est le miroir des genèses. C’est un psaume de chair transmuté en lumière. Personne ne perçoit encore l’impitoyable clarté de l’aube mais la volupté de l’espace invisible s’étire sans fin. Sa clarté fait partie de nous. Dans un tel clair de lune transfigurent « le canal où l’eau bleue tremble, et l’église où le / vitrage d’or flamboie ». Dans cet ouvrage, au regard de la houle des ténèbres existent un arrêt, un verdict. Pour oublier sans attendre le sang du phare qui écarte la mort jusqu’au petit matin.
L’ombre mise à nu s’attache à elle comme à un fond marin. Reste à espérer la prochaine nuit, sa hantise, ses coloris, sa poussière. La diaphanéité de sa mémoire. Ou de son oubli — comme on voudra.
jean-paul gavard-perret
Aloysius Bertrand et Rafaël de Surtis, La nuit & ses prestiges et autres fantômes, éditions Rafael de Surtis, Cordes sur Ciel, 2024 — 23,00 €.