Mathias Lair, La chambre morte & Aïeux de misère

Le fond de l’effroi ou l’image de la mère

Ayant « fait » son petit, la mère de La Chambre morte ne lui donna pas la vie mais la mort. Et ce, à tra­vers la sienne, conti­nuel­le­ment scé­na­ri­sée et hys­té­ri­sée en des sui­cides avor­tés avant le bon (si l’on ose dire…). Cela ouvrit le nar­ra­teur (l’auteur) à une hypo­thèse des plus dou­teuses quant à la pos­si­bi­lité d’une exis­tence propre face à une mère autant aimée  qu’haïe (non sans cause). Si bien que Lair aurait pu faire siennes les paroles du « héros » de L’Innommable : “Je cherche ma mère, pour la tuer, il fal­lait y pen­ser plus tôt, avant de naître”. Il n’existe tou­te­fois pas de fan­tasme de toute puis­sance ni de para­dis pr霭di­pien nar­cis­sique chez Lair. Il n’est livré par la mère qu’à une errance et une pros­tra­tion dont ce livre signe la fin comme il marque la sor­tie des répé­ti­tions d’un passé loin­tain au nom d’une mère qui sus­cita la dépen­dance dans un dia­logue ima­gi­naire et vain avec elle. Au nom aussi des pères (celui de la queue et celui de la res­pon­sa­bi­lité) qui se cachent der­rière plus visibles dans Aïeux de misère.

Les deux livre pro­posent une dis­tan­cia­tion sus­cep­tible d’évoquer enfin de manière fron­tale celle dont le fils mau­dit devint le miroir. Mais La chambre morte  reste plus expli­ci­te­ment celui de la mise à mort dési­rée et tou­te­fois into­lé­rable de la mère qui laissa si long­temps le nar­ra­teur perdu dans le vide ou dans le noir — ou si l’on pré­fère la cru­dité d’un des nar­ra­teurs becket­tiens « dans la merde ». A la Chambre claire de Barthes (qui en savait pour­tant beau­coup sur la Jocaste ter­ro­ri­sante) répond celle plus sombre de Lair. L’écrivain trouve enfin une posi­tion de maî­trise de la parole à tra­vers une vio­lence, une hor­reur et une jubi­la­tion par les mots ouverts « grâce » à celle qui devient enfin l’absente.

L’auteur en mul­ti­plie la vision qui rap­pelle celle d’un autre per­son­nage becket­tien : l’enfant de « La fin » (in  Nou­velles et textes pour rien ). Levant la tête vers le ciel bleu, il demande à sa mère com­ment cette cou­leur est pos­sible, ce à quoi répond la mère un : “fous-nous la paix”. En contre­par­tie, le héros de Lair doit se « far­cir » les jéré­miades mater­nelles qui l’empêtrent dans des rap­ports inex­tri­cables. Fort jusque là de son amour ambigu, par­fois qua­si­ment inces­tueux, le nar­ra­teur de Mathias Lair s’ouvre enfin au vivant. Il peut enfin croire à une vie future. Bref, il sort du dés­œu­vre­ment.
Ce livre est donc là clé qui lève l’écrou de l’ « incom­pos­sible » là où l’image pre­mière s’efface au sein d’une chambre noire où ne se fomen­te­ront plus d’inaltérables répliques. D’autres formes sur­gissent enfin au moment où le nar­ra­teur sort de la fusion-confusion dont il avait conscience sans pour autant pou­voir la neu­tra­li­ser, rivé en un double pro­ces­sus de dépen­dance et de culpa­bi­lité. L’odyssée de l’espèce peut enfin débu­ter là où le livre s’achève. Il finit par ces mots : « Nous sommes dans ce que nous sommes. Tant que cela durera, la vie ».

Lire notre entre­tien avec l’auteur

jean-paul gavard-perret

Mathias Lair,

- La chambre morte, Edi­tions Lans­kine, coll. For­mat libre,2014,  112 p. — 10,00 €
- Aïeux de misère, Edi­tions Henry, 2014, 156 p. - 10,00 € 

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