Quand Bébé Cadum revient toujours : entretien avec Régine Nobécourt-Seidel (Du Fol Amour à la Grâce)

Multiple et une, drôle et inci­sive, fille de l’imaginaire sans que la folle de logis ne l’envahisse, Régine Nobécourt-Seidel vaga­bonde. Par­fois devant son ordon­na­teur pour écrire, par­fois pour bri­co­ler afin refaire com­plè­te­ment l’aménagement d’une chambre et les meubles IKEA à mon­ter mais aussi pour prendre du bon temps à la mer sans aucun vice.
Avec pré­ci­sion, elle dit dans son œuvre comme ici l’essentiel. Elle veut d’une cer­taine façon beau­coup et bien plus, retourne dans ce pays incer­tain où les sou­ve­nirs sont comme des villes en construc­tion, avec des axes com­pli­qués, des pas­sages secrets. Il est pos­sible que chez elle des tasses se rem­plissent toutes seules et que les heures ne pèsent pas sur elle comme si ses fins de jour­nées étaient enfin dépouillées d’une chape de plomb, du prix d’un effort tota­le­ment vain mais où sa poé­sie reprend enfin goût — même à un rien qui n’a pour­tant pas de prix.

Une telle auteure sort du cadre en tant que seule fai­blesse fami­lière et aussi  hors de por­tée pro­mise à l’unique mul­tiple. Depuis long­temps, en éclip­sant toute beauté de clin­quant, elle cherche même dans la misère uni­ver­selle un moindre récon­fort. Son empa­thie est là.
Preuve que son ala­crité ne s’évapore jamais. Chez elle, cela reste un point d’ancrage et de repère. On ne peut plus l’arrêter.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
C’est avec l’envie de vivre encore et encore des moments inou­bliables que je saute du lit chaque matin, aimerais-je dire parce que c’est vrai mais aussi hélas une autre fâcheuse envie toute viscérale !

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
J’avais peu de rêves irréa­li­sables donc je ne cesse de réa­li­ser ceux qui me viennent au jour le jour et même au-delà !

A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai évi­dem­ment dû renon­cer à être pilote de course ! Mais Ne jamais renon­cer, n’est-ce pas la meilleure devise ?

D’où venez-vous ?
Je dois venir de très loin, ma car­na­tion le dit, mes yeux le clament, ma che­ve­lure en témoigne. Je suis née sur une terre d’invasions, une terre de fron­tière, une terre qui mène à la mer. Les Mon­gols, les Vikings, les Arabes, les Espa­gnols se sont suc­cédé, se sont mêlés. Oui je viens de très loin.

Qu’avez-vous reçu en héri­tage ?
De tous ces ancêtres loin­tains j’en ai la force, le groupe san­guin le plus ancien, de ceux qui résistent, le sens de la terre, la pug­na­cité mais aussi l’humour et l’amour de la vie.

Un petit plai­sir quo­ti­dien ou non ?
Je prends des petits plai­sirs par­tout où je peux dans une jour­née. J’aime par­ti­cu­liè­re­ment le petit matin quand, seule, j’écoute le jour qui se lève, je regarde le ciel s’éclaircir. J’ai d’ailleurs écrit un livre de poé­sie Réver­bé­ra­tions Médi­ter­ra­néennes dans lequel j’évoque ces moments uniques, sortes de Kaï­ros, qui sont si nom­breux en une journée

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
Le fait que j’ai écrit toute ma vie mais n’ai com­mencé à publier qu’après 60 ans fait qu’il est dif­fi­cile d’être prise au sérieux ! On est dans une époque de jeu­nisme et en lit­té­ra­ture comme pour tout d’ailleurs et depuis tou­jours il faut la bonne ren­contre, avec le bon édi­teur, avec la per­sonne qui croit en vous, il faut avoir la bonne étoile. Ma bonne étoile a brillé trop tard.

Com­ment définiriez-vous votre poé­sie ?
Ma poé­sie est variée, mar­quée par toute la lit­té­ra­ture des géné­ra­tions pré­cé­dentes. J’écris aussi bien des chan­sons que de la poé­sie plus « her­mé­tique ». J’aime les images, les méta­phores impro­bables. Bien sûr j’ai com­mencé à 14 ans par l’alexandrin et le son­net ! Après tout, comme Rim­baud ! Mais n’ai jamais eu son audace !

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Et si c’était la publi­cité pour le savon Cadum, le fameux Bébé Cadum qui m’avait inter­pel­lée en pre­mier dans la bou­tique de ma mère ! Cette publi­cité orne ma salle de bain actuelle d’ailleurs. Très vin­tage ! Quant à l’image « cou coupé » c’est celle qui m’a le plus parlé !

Et votre pre­mière lec­ture ?
Les lec­tures pen­dant mon enfance, c’était ce que je trou­vais dans le maga­sin de maman ou les livres que l’on m’offrait, les livres de prix de fins d’années sco­laires, les livres prê­tés par la biblio­thèque de l’école. Je me sou­viens de “l’Auberge de l’Ange Gar­dien” évi­dem­ment, “Le géné­ral Dourakine”…et plus tard de “La Damoi­selle au Chien” qui m’a fait tant rêver et évi­dem­ment dans un autre registre “Croc Blanc”…

Quelles musiques écoutez-vous ?
Actuel­le­ment j’écoute la musique Zen eth­nique sou­vent mais aussi, de Satie, “Gym­no­pé­die”, allez savoir pourquoi !

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ai jamais eu d’envie par­ti­cu­lière d’écrire à qui­conque sauf quand j’avais des élèves. C’était un exer­cice for­mi­dable de faire écrire une classe à l’auteur d’un livre étu­dié en cours, oui parce qu’on lisait aussi des auteurs vivants quoi que cer­tains en disent !

Quel est le livre que vous aimez relire ?
J’aime relire les Giono pre­mière période. L’écriture de ce der­nier m’a beau­coup inspirée

Quel film vous fait pleu­rer ?
S’il est un film qui fait pleu­rer dans les chau­mières, c’est “le doc­teur Jivago” ! Donc moi aussi !

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Oh, dans un miroir, je ne vois que moi, c’est déjà bien assez donc la plu­part des femmes que je suis ! Je suis multiple.

Quelle ville ou quel lieu a pour vous valeur de mythe ?
Je suis une fille de la Terre, de ma terre, alors un lieu mythique il ne peut être que ter­restre et pour moi ce serait toute la Crête, pour­quoi ? Je n’en sais rien, ma culture ? Mon ima­gi­naire ? L’époque où je l’ai connue ?

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Evi­dem­ment, je me sens proche de Giono !

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Pour mon anni­ver­saire, j’aime les cadeaux sur­prises mais qui répondent à mes attentes donc qui prouvent que l’autre a cher­ché à bien me connaître, qu’il a cerné mes goûts, mes attentes. J’aime le cadeau qui vient du cœur, de l’envie de faire plaisir.

Que défendez-vous ?
Je me suis toute ma vie bat­tue pour l’égalité hommes femmes et je m’élève contre toute injus­tice, quelle qu’elle soit ! Et là je suis encore plus proche de Rous­seau que de Voltaire.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
Je me méfie de tout argu­ment d’autorité. Lacan dit ce qu’il veut, ce qu’il pense et je sou­ris de toutes ces petites phrases alam­bi­quées où les gens qui ne savent pas pen­ser par eux-mêmes se réfu­gient pour se rendre impor­tants, pour prou­ver leur grande culture.

Que pensez-vous de celle de W Allen « La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ? »
Cette phrase est humo­ris­tique et n’engage que lui. Sa volonté est d’être drôle et il aime les situa­tions hors du com­mun. Il s’en sor­tira tou­jours par une pirouette

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
J’aurais demandé en plus : « Savez-vous nager en eaux troubles ? »

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 18 août 2024.

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