Marco Lodoli est écrivain prolifique à Rome, où il vit. Il est journaliste à La Repubblica et enseigne également dans un lycée de la banlieue romaine. Cette expérience n’est pas neutre pour l’histoire de son héros Matteo. La concierge de son école vit une passion silencieuse et implacable avec ce professeur. Il est différent des autres. Elle ne cesse de l’aimer. Pendant quarante années, elle le défend des dangers, du mal, du monde.
Au besoin et pour lui, dans le silence, elle peut tout risquer en restant si nécessaire mais demeure inflexible et féroce pour l’aimer sans jamais se dévoiler : « J’avais besoin de le voir chaque matin, d’échanger avec lui un rapide bonjour, et imaginer que sans moi, qui ne suis presque rien, il se serait égaré dans l’existence comme un enfant dans la forêt. »
D’une certaine façon, la banlieue romaine correspond à un tel amour aussi vieux qu’adolescent à sa façon. La concierge, au demeurant avenante, éprouve espérances et mélancolie. Il pourrait sembler (le conditionnel est important) qu’elle n’a pas vieilli ni n’a fait fausse route avec l’impression d’être toujours au commencement d’un voyage… Ces deux existences parallèles finiront peut-être par se rencontrer. Le temps d’une nuit, dans une étreinte entre illusion et oubli.
Existe un conflit bovaryen et dramatique entre l’imaginaire (elle) et le réel ( lui ). Il est condensé et déplacé par les ruses, les leurres, les contradictions et les disparités du symbolique des deux : sentimentalité, forme d’‘aristocratie de la petite bourgeoisie positiviste et du peuple romain. Et d’une certaine façon Lodoli pourrait presque s’écrier : « Madame Bovary, c’est moi » (version italienne).
Mais chez cette Bovary romaine, elle est « Le » moi. Qui lui fait vivre sa vie d’une part comme une insuffisance d’exister et d’autre part en refusant le réel qu’elle ne peut identifier qu’à sa plate réalité. Certes, elle oppose à son professeur un imaginaire de midinette mais il ne dispose d’aucune puissance symbolique qui lui permettrait de distinguer le réel de l’un et la réalité de l’autre. Même si, bien sûr, Lodoli n’est pas du tout cette femme.
Les deux vivent le courant alternatif du réel et de l’imaginaire. Leur conflit oppose l’objectivité d’un roman réaliste et la subjectivité des fables romantique. Le tout dans cette fiction sombre et quasi magique. Le nœud du livre reste l’amour fou cher à Breton mais qui ne s’obtient ici que par renoncement.
C’est pourquoi la fin du roman rejoint à une sorte de perception mystique sur l’effacement au sein de cette parabole radicale et ridicule sur l’espérance sinon que d’en faire perdurer un si peu au profit de son absence essentielle dont le plein n’est que l’inconsistance d’un songe et sa vacance (romaine forcément).
jean-paul gavard-perret
Mario Lodoli, Si peu, traduit de l’Italien par Louise Boutonnat, P.O.L éditeur, Paris, septembre 2024, 144 p. — 18,00 €.