« Itinerrances » de Christian Bernard
Guirlandeneuf fait suite à Breliques, « Addenda au nouveau lexique » comme aux adages, maximes, conseils, aux « vermoteries » et « lapsus calamiteux » dont les à peu près sont de parfaits régals. Dans ses épreuves de lucidité, le poète ne ménage « ni le mièvre ni le mou ». Les deux prennent « du plomb dans la cervaile » : syntaxe et vocabulaire s’animent d’une extraordinaire liberté. Le poète reste singulièrement fécond même s’il demeure très restrictif quant à la publication de ses textes. Mais ce qu’il accepte de donner à lire est d’une élégance et d’une drôlerie propres à sortir la poésie de l’arène du postiche comme du stade du mouroir qu’il définit comme une « lacânerie terminale ».
Christian Bernard transforme la poésie en un exercice d’intelligence face à ce qui menace la pensée comme le corps. Quant à l’âme, le poète a fait une croix dessus depuis que « le toit de son accent n’abrite aucun souvenir » et que « l’éternité la tue ». D’où la douce fureur avec laquelle il empoigne le langage. Il le fume comme ses cigarettes : à savoir « par les deux bouts ». Preuve que la poésie devient un exercice de prestidigitation plus que de magie. Ce qui n’enlève en rien à ses « hypothèses d’épitaphes » . Elles font « de l’approximation une science exacte » dans une forêt des signes où se croisent « Michel Delorme, Marie Dubois, Réjean Ducharme, Jacques Dupin, Pascal Dusapin, L-René des Forêts »...
A l’ombre d’une telle frondaison et dans ses petits manuels de félixité, Christian Bernard ose les plaisanteries de derrière les fagots. C’est un régal dont on ne se lasse pas. De telles maximes sont essentielles car elles appartiennent à l’ordre très parcimonieux de ce « qu’un manchot peut compter sur ses doigts ».
jean-paul gavard-perret
Christian Bernard, Guirlandeneuf, Walden n’press, Trémas, Saint-Victor-sur-Loire, 2014.