Bernard Noël, Là, il y aura oracle (Pour André Masson)

Dialogue de la proxi­mité et du lointain

Bernard Noël à tout com­pris de celui qu’il n’a pour­tant jamais phy­si­que­ment ren­con­tré: Mas­son. Pour lui, l’art fut une source inépui­sable de la réflexion et de l’écriture du poète. A ce titre, l’œuvre d’André Mas­son était et sera impor­tante. Voire plus. Noël a donc écrit une mono­gra­phie, un récit-monologue à par­tir des auto­por­traits ainsi que de nom­breux autres écrits.
Selon l’auteur, pour un tel artiste, peindre c’est tou­jours recom­men­cer au début, tout en étant capable d’éviter les argu­ments fami­liers sur ce que l’on se voit peindre soi-même : la toile sur laquelle il tra­vailla et modi­fia les pré­cé­dentes oeuvres en une décon­cer­tante chaîne sans fin qui semble ne jamais cesser.

Si, chez Mas­son, se pose un cairn en un ter­rain vierge inexis­tant avant lui, Noël le nomma pour défi­nir ses créa­tions pic­tu­rales. Il a regardé beau­coup ses œuvres sans se limi­ter, se ran­ger et être conforme à l’existant.
Le poète a décou­vert par sa pein­ture une lévi­ta­tion de la vie, une écri­ture de l’existence, de l’être, de ses états, de ses chaos, de l’apesanteur, des tumultes, de la vitesse, du rap­port avec le monde, avec les autres et tout ce que cela implique.

L’auteur s’est donc volon­tai­re­ment noyé dans l’œuvre de celui qui s’était ter­ri­ble­ment entêté à faire ce qu’il vou­lait faire. Tout le reste l’ennuyait ter­ri­ble­ment. Il quitta la pein­ture figu­ra­tive comme ceux qui répon­daient aux rêves d’artistes influen­cés par les modes, les cou­rants et les ten­dances mises sur le mar­ché par les gale­ristes.
Mas­son, comme le rap­pelle Noël, fut irré­mé­dia­ble­ment attiré vers des hau­teur. Par­fois, en avan­çant sur un fil tendu, tenant bon et sans bais­ser les bras pour ne pas tom­ber. Ces textes réunis prouvent que cette pein­ture fut aux limites plus ou moins proches de la spon­ta­néité, décri­vant les champs d’action de ses liber­tés, en étant pas seule­ment spon­ta­née, ni ges­tuelle, ni auto­ma­tique… ni explo­ra­tion des condi­tions maté­rielles, de la plas­tique des maté­riaux et de leurs effets, esthé­tiques ou autres.

Sa vita­lité est ailleurs, elle est géné­rée par des forces, une néces­site la sim­pli­fi­ca­tion et de la sophis­ti­ca­tion suprême. En creu­sant tous les contours, toutes les pro­fon­deurs, il sut s’apprivoiser, se rap­pro­cher de la maî­trise et rejoindre le plus pos­sible le soi, donc l’autre sans conven­tions. Quant à Noël, il sut mettre son cœur avec des mots sans cœur selon une écri­ture  « pon­tive ».
De plus et sur­tout, l’art comme action de Mas­son fut la réa­lité de l’existence. Il a tendu ses toiles jusqu’à en faire des sup­ports musi­caux, des « pads » pour que les sono­ri­tés rebon­dissent et que les vibra­tions de formes soient favo­ri­sées. A sa manière, l’auteur l’a dit mais son oeuvre est deve­nue une pierre d’achoppement de sa poétique.

jean-paul gavard-perret

Ber­nard Noël, Là, il y aura oracle (Pour André Mas­son), Pré­face de Michel Surya, Ate­lier Contem­prain, Stras­bourg, 5 avril 2024, 256 p. — 95,00 €.

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