Revenant à l’imaginaire germanique suite à son immersion autrichienne lors de ses jeunes années, Dominique Panier fait se succéder descriptions et anecdotes historiques autour d’atmosphères romanesques et romantiques. D’abord avec Bleu de Poméranie chez le même éditeur en 2021.
Il déplace dans son nouveau livre son chant d’investigation autour des Toy Theater ou Juvenile Drama. Ce sont des théâtres miniatures, scènes de table où les figurines des personnages sont actionnées par le narrateur au sein de décors de papier. Ils ont apparus en Angleterre au XIXe siècle et en Europe.
L’auteur les renomme “microdrames”. Ils les applique à une série d’anecdotes et confidences tout en relatant des effets pyrotechniques et la magie. Son style particulier sait car il est nourri de précisions historiques et ce qu’il nomme de «petites choses absurdes».
Après le flux des telles perturbations, Pagnier poursuit la recherche d’images mobiles et pictorialistes.
Ses Passeports littéraires laissent toujours planer le voile et le doute afin que le regardeur et désormais le lecteur subissent le mystère de telles images. Il s’agit de se perdre dans une beauté paradoxalement convulsive par effet d’atténuations ou de nimbes. Des présences vacillent sous effluves de bleu, de mauve, de rose, de gris.
Corps ou paysages en dissolution s’offrent par cérémonies secrètes. Tout semble silencieux, doux et discrètement suave, intime, élégant, tendre. L’ordre de la diaphanétité domine. Celle de l’air qui devient écrin précieux. S’ouvre une exploration de ce qui perdure au sein d’un possible anéantissement, mais loin de toute provocation. L’ensemble demeure d’une fragilité et d’une instabilité contondantes.
Ces fabrications originales ont croisé l’intérêt de Churchill et de Stevenson. Ils étaient des amateurs de modèles miniatures, et aimaient feuilleter ces jouets oubliés par beaucoup. Par ce biais, Pagnier déroule des mythes et un terrain philosophique “où se trouvent peut-être quelques réponses sur l’enfance, l’homme et ses drames”, précise l’auteur. Mais, de plus, pour lui, «La question est de savoir si nous pouvons avoir le Toy Theater aussi bien que la Bombe atomique. A quoi je répondrai seulement que nous le devons».
Les propos catégoriques ont été écrits dans les mois où les démiurges de Trinity procédaient à leurs expériences de réaction en chaîne. Transpontus en est un et en action lors de la production du Meunier et ses hommes. Il changeait les décors, bougeait ses personnages et les faisait parler tel un avatar dieu unique ordonnateur du “drame juvénile”. Emerge une magie des formes et des couleurs en diverses formes simples ou compliquées voire mystérieuses. L’auteur se confronte avec l’idée du lieu comme matière du monde.
Le travail développe de nouveaux chemins étranges. La clarté par la magie peut plonger dans l’obscur qui plombe l’âme. C’est comme si le sommeil était réveillé et à chaque moment des textes le monde change d’horizon. Nous nous découvrons autres dans les couleurs de ces historiettes entièrement à part, pour que jamais la nuit d’une paupière ne s’abaisse autrement qu’en épiphanies.
Faire place nette, sans délai, pour le seul amour de ce frémissement de source et de hasards nous fuit, Transpontus devient un officiant, à son insu et en cette grâce. Pagnier ne finit pas de solliciter l’expérience visuelle. La sienne préfigure ce que nous voudrions apprendre à recevoir. En ce monde devenu difficilement habitable, celui-ci devient à naitre à nouveau. Trop de regards l’assaillent.
jean-paul gavard-perret
Dominique Pagnier, Le royaume de Transpontus, Illustrations empruntées aux planches de Green, Pollock, Skelt et Webb, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 120 p. — 22,00 €.