Laurine Rousselet est une poète qui maîtrise l’écriture depuis un très jeune âge. Ses premiers poèmes paraissent dans la revue Digraphe en 1998, suivis d’un premier recueil Tambour aux éditions Bernard Dumerchez. Sa littérature est faite de déplacements et d’éclats – quelque chose qui peut s’apparenter à une littérature de frontière, non seulement à la frontière entre les langues, mais aussi entre les modes d’expression artistique.
Sa voix est souvent accompagnée par le travail de peintres et graveurs (dont Ramón Alejandro), de musiciens (Abdelhadi El Rharbi), et de danseuses et danseurs (Vincent Chaillet, Sara Orselli de la compagnie Carolyn Carlson). Cette rencontre a donné naissance à l’un de ses derniers recueils, intitulé Émergence, et désormais “Danser dans l’immensité”.
Adressé à Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault, ce livre est consacré sous forme de dialogue à la femme et l’homme qui dansent. D’abord, à première vue, c’est déjà pour les chorégraphes l’approche et l’envie non sans une forme particulière de l’amour. L’homme se colle à la joue de sa partenaire. S’escaladent les premiers abîmes en ce qui est rapport particulier : une réponse à la mort. Et, par un tel art, faire parler le silence est inaudible.
Dans ce dialogue, “L’absence ne se replie jamais. Les souvenirs sont tous vrais.” Mais il s’agit aussi de “Se frotter sauvagement au bleu, créer la faillite de la mémoire !”. Le couple dévore l’espace, partage les corps qui s’unissent dans cet érotisme plus profond qu’une “observation” simplement sexuelle. L’amour est ici “un chant unique et absolu.”, de rêve en rêve. Et chaque embrasement qui habille la chorégraphie suggérée devient le reflet du possible. De vérité en vérité, de geste en geste il s’agit de “tituber pour connaître” puisque cela est l’amour, son sens et les désirs.
L’exigence du corps sécrète l’inconnu de l’instant là où, néanmoins, la parade amoureuse prolonge les sentiments mais le coeur ici est en jeu jusque dans ce qui devient “l’intranquillité dévastatrice” car tout s’y joue dans un grouillement et un vertige. Ce pas de deux crée la synthèse une et multiple en un “tricotage d’approfondissements” tendu à l’extrême quand “les cœurs bondissent et se rappellent que le futur est au centre” de l’élan et du trouble.
Dans ce but, l’auteure entretient un rapport de fond avec les deux “amants” et leur art. Elle donne des mots et leur musique au désir mais va jusqu’à en parler autrement : ils deviennent des fées jaillies de leurs papillotes. Nous “voyons” les étendues et les abîmes de l’amour qui trouve entre autres dans ce livre des lèvres.
Chacun peut lire et regarder aimer car il trouve une nuit d’ivresse. Des voix appellent. S’entend le cri de l’âme. Une fois de plus, nous passons par la même figure. Deux sont les mêmes et nous cessons de fondre en eux. L’amour devient mémoire dont on ne revient pas — ou presque.
Ecrire n’est donc qu’un rituel autant immuable qu’indécis et flottant, mais aussi une préoccupation capitale, une maladie de l’amour qui peu à peu a raison de nos corps. Ce qui demeure est bouleversant dans l’écriture en cette légèreté grave. Les mots que l’on n’aura jamais retenus deviennent le “tournoi” d’un récit irréel et du spectacle le plus vrai.
jean-paul gavard-perret
Laurine Rousselet, Danser dans l’immensité, éditions L’échappée belle, avril 2024, 80 p. — 14,00 €.
Quelle belle déclaration ! JPGP a tout compris de la fée poétesse qui danse dans l’immensité .