Philippe Sollers, La Deuxième Vie

Vers la fin

La Deuxième Vie reste par son esprit une vision a priori roma­nesque de Sol­lers écrite ou dic­tée puis révi­sée par Georfi Gala­bov et Sophie Zhang. Cette fic­tion par­ti­cu­lière est une suite de tur­ges­cences et enfon­ce­ments divers, des évo­ca­tions de type réflexion (sur la télé­vi­sion et le cinéma par exemple) mais aussi sur la seconde vie auréo­lée de cette sain­teté qu’on accorde aux écri­vains d’exception à l’abri de Sade. Et Sol­lers d’ailleurs de l’évoquer en inci­pit par sa cita­tion : « je crains peu l’avenir ».

Super­be­ment accom­pa­gnée d’une post­face par­faite par Julia Kris­teva (qui avait été « oubliée » dans le der­nier hom­mage col­lec­tif publié la der­nière année par Gal­li­mard), elle rap­pelle dans l’esprit même de son mari que l’odeur du sacré prend un sérieux coup dans l’aile mais sans jouer de bien des facé­ties qui furent mon­naie cou­rante dans la pre­mière vie de l’auteur. Celui-ci qui sent avec luci­dité ce qui arrive désormais.

Sans trans­gres­ser à outrance le sceau du secret de l’intime, cette période d’observation ter­mi­nale per­met l’apparition de quelques muta­tions signi­fi­ca­tives. Sol­lers s’accroche encore à son sta­tut d’ « intel­lec­tuel ». mais il est avare désor­mais de déve­lop­pe­ments sti­pen­diés mais capables de lais­ser des dépenses ludiques, voire quelques des­truc­tions des visions de l’amour.

Cette sorte de mise en (der­nière) scène n’existe pas en fonc­tion d’un thème et encore moins d’une pos­ture sul­fu­reuse. Avouer un tel codi­cille reste pour lui le moyen de construire son « tout ce qui reste » comme écri­vit Beckett. Mais en consé­quence, ce texte et celui de Julia Kris­teva sont tou­chants, lumi­neux, pleins aussi d’une forme d’attachement ami­cal pour un lec­teur ou une lec­trice d’auteurs pour le moins — et c’est un euphé­misme — conséquents.

Sollers et Kris­teva nuancent en excluant une plé­thore d’évocations. Et le corps vivant de Phi­lippe demeure une sorte de roman consti­tu­tif qui ter­mine sur le néant. Il s’approche et se pré­cise dans sa der­nière phrase : « Si le néant est là, il est là, en train de voir le monde éclairé par un soleil noir ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard : souvenons-nous de l’astre iden­tique chez Kris­teva. Il fut pour elle celui de la mélan­co­lie. Avec poli­tesse, Sol­lers le partage.

Et après tout, n’est-ce pas le but — pra­ti­que­ment avoué – que les deux auteurs par­viennent à débou­lon­ner tout Sur­moi ? Ils savent dire les mots des choses et par­tagent divers ordres pour aller au bout des traces sans les aban­don­ner. L’auteur va jusqu’à ce des­sein der­nier cou­ronné par une sorte de (faux) mono­logue de la jonc­tion inter­ac­tive, face et  post­sface d’un couple par­ti­cu­lier et significatif.

jean-paul gavard-perret

Phi­lippe Sol­lers, La Deuxième Vie, post­face de Julia Kris­teva, Gal­li­mard, coll. Blanche, mars 2024, 80 p. — 13,00 €.

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