La Deuxième Vie reste par son esprit une vision a priori romanesque de Sollers écrite ou dictée puis révisée par Georfi Galabov et Sophie Zhang. Cette fiction particulière est une suite de turgescences et enfoncements divers, des évocations de type réflexion (sur la télévision et le cinéma par exemple) mais aussi sur la seconde vie auréolée de cette sainteté qu’on accorde aux écrivains d’exception à l’abri de Sade. Et Sollers d’ailleurs de l’évoquer en incipit par sa citation : « je crains peu l’avenir ».
Superbement accompagnée d’une postface parfaite par Julia Kristeva (qui avait été « oubliée » dans le dernier hommage collectif publié la dernière année par Gallimard), elle rappelle dans l’esprit même de son mari que l’odeur du sacré prend un sérieux coup dans l’aile mais sans jouer de bien des facéties qui furent monnaie courante dans la première vie de l’auteur. Celui-ci qui sent avec lucidité ce qui arrive désormais.
Sans transgresser à outrance le sceau du secret de l’intime, cette période d’observation terminale permet l’apparition de quelques mutations significatives. Sollers s’accroche encore à son statut d’ « intellectuel ». mais il est avare désormais de développements stipendiés mais capables de laisser des dépenses ludiques, voire quelques destructions des visions de l’amour.
Cette sorte de mise en (dernière) scène n’existe pas en fonction d’un thème et encore moins d’une posture sulfureuse. Avouer un tel codicille reste pour lui le moyen de construire son « tout ce qui reste » comme écrivit Beckett. Mais en conséquence, ce texte et celui de Julia Kristeva sont touchants, lumineux, pleins aussi d’une forme d’attachement amical pour un lecteur ou une lectrice d’auteurs pour le moins — et c’est un euphémisme — conséquents.
Sollers et Kristeva nuancent en excluant une pléthore d’évocations. Et le corps vivant de Philippe demeure une sorte de roman constitutif qui termine sur le néant. Il s’approche et se précise dans sa dernière phrase : « Si le néant est là, il est là, en train de voir le monde éclairé par un soleil noir ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard : souvenons-nous de l’astre identique chez Kristeva. Il fut pour elle celui de la mélancolie. Avec politesse, Sollers le partage.
Et après tout, n’est-ce pas le but — pratiquement avoué – que les deux auteurs parviennent à déboulonner tout Surmoi ? Ils savent dire les mots des choses et partagent divers ordres pour aller au bout des traces sans les abandonner. L’auteur va jusqu’à ce dessein dernier couronné par une sorte de (faux) monologue de la jonction interactive, face et postsface d’un couple particulier et significatif.
jean-paul gavard-perret
Philippe Sollers, La Deuxième Vie, postface de Julia Kristeva, Gallimard, coll. Blanche, mars 2024, 80 p. — 13,00 €.