Gaïdz Minassian, Arménie-Azerbaïdjan, une guerre sans fin? Anatomie des conflits post-soviétiques, 1991-2023

Gaïdz Minassian, Arménie-Azerbaïdjan, une guerre sans fin? Anatomie des conflits post-soviétiques, 1991-2023

Guerres sur les montagnes de Prométhée 

La focalisation militaire, politique et médiatique sur la guerre en Ukraine met dans l’ombre un autre conflit, lui aussi très ancien et tout aussi sanglant, certes moins spectaculaire mais révélateur des évolutions internationales, celui qui oppose l’Arménie et l’Azerbaïdjan autour de la province du Haut-Karabakh.
Situation aussi complexe que passionnée, qui demande une étude détachée et rigoureuse comme celle proposée par Gaïdz Minassian.

Dans une dense introduction, l’auteur replonge dans les profondeurs de ces trois guerres, constituées de plusieurs couches superposées : la logique des empires qui s’y affrontent depuis des siècles ; l’héritage de la désintégration de l’Union soviétique qui a laissé la place à des « Etats patrimoniaux, chancelants, convalescents, aux frontières politiques peu lisibles, au système politique rudimentaire »; le poids des concepts de la géopolitique classique qui voit s’opposer les Etats des plaines et ceux des montagnes, autour des ressources et des territoires ; et bien sûr les nationalismes alimentant une haine de l’autre inexpiable.

Ce cocktail dangereux accouche de trois guerres, étudiées avec précision par l’auteur, avec pour centre de gravité le Haut-Karabakh, « terre de résistance ». Elles opposent l’Azerbaïdjan riche de ses ressources pétrolières à l’Arménie construite autour du souvenir du génocide de 1915. S’affrontent deux principes, celui de l’intégrité territoriale (le Haut-Karabakh appartient de jure à Bakou) à celui de l’autodétermination des peuples (il est peuplé d’Arméniens).
Trois guerres donc, toutes marquées par le contexte international. La première se situe dans la période post-soviétique, la deuxième dans celui du réveil de la Russie, et la troisième dans celui de l’agression russe contre l’Ukraine et, plus largement, de la désoccidentalisation de l’ordre international.

En vérité, la déroute arménienne, complète et cruelle, loin des regards occidentaux, se trouve imbriquée dans la formation de cet axe russo-turc dont Bakou profite au maximum pour isoler son vieil ennemi, pour lui faire perdre le soutien russe et rafler la mise. Même la très droit-de-l’hommiste Ursula von der Leyen met ses beaux principes de côté pour serrer la main gazière d’Aliev.
En fin de compte, comme l’explique avec justesse Gaïds Minassian, ce conflit rappelle que le territoire, même en ces temps de mondialisation, demeure un élément structurant des conflits et des guerres. L’Ukraine le confirme d’une façon dramatique.

frederic le moal

Gaïdz Minassian, Arménie-Azerbaïdjan, une guerre sans fin ? Anatomie des conflits post-soviétiques, 1991-2023, Passés/composés, 2024, 368 p. – 22,00 €.

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