Nous avions déjà commenté ici le coffret Starewitch, cinquantième anniversaire, qui réunissait la plupart des chefs-d’œuvre de ce génie de l’animation. Les éditions Doriane poursuivent leur louable travail sur ce cinéaste en mettant en valeur, ici, la première décennie de sa carrière, lancée du temps de l’Empire russe.
Léona Béatrice Martin-Starewitch (la petite-fille du maître) et François Martin ont rédigé, pour accompagner les films, un livret de 24 pages, très appréciable et instructif. On y apprend, entre autres, que La Belle Lucanide (1910), le premier film de fiction de Starewitch, fut aussi le premier film produit en Russie à être vendu à l’étranger, ce qui n’a rien d’étonnant, au vu de sa qualité et de son originalité.
La version francophone de La Cigale et la Fourmi (1912, il y a aussi une version russophone qui figure dans les bonus) a été “offerte“, comme son générique l’indique, par le producteur, à l’héritier du trône de Russie, détail historique qui confère une résonnance particulière à la triste fin du film – le spectateur est tenté de faire le lien avec la mort qui attendait le tsarévitch.
Dans le même ordre d’idées, il est passionnant de découvrir le film “pédagogique“ Vers le pouvoir populaire (1917) destiné à inciter les Russes à voter aux élections de l’Assemblée constituante. C’est l’une des œuvres de Starewitch tournées avec des acteurs, en décors réels, dans un style étonnamment vériste, surtout pour l’époque. L’aspect propagandiste y est beaucoup moins appuyé que dans le cinéma soviétique qui allait naître dans les années suivantes, ce qui fait que ce travail de précurseur apparaît paradoxalement comme plus moderne que, par exemple, tels opus de Dziga Vertov.
Un autre film interprété par des acteurs, Sachka le Jockey (incomplet), nous offre le plaisir de nous plonger dans une Russie d’avant la révolution, où le monde des courses est représenté avec un réalisme saisissant, qui se combine étonnamment bien avec le jeu stylisé et l’intrigue relativement convenue. Le Lys de Belgique (1915), mélange d’animation et de prises de vue réelles, est aussi insolite que réussi : il s’agit d’une allégorie au sujet de l’invasion de la Belgique par les Allemands. De ce sujet relativement ingrat, Starewitch tire une vraie merveille de finesse et d’inventivité.
Enfin, signalons La Nuit de Noël, d’après Gogol, où le célèbre Ivan Mosjoukine joue le Diable, sous un masque qui le rend à peu près aussi reconnaissable que Jean Marais dans le rôle de la Bête. C’est l’un des films les plus drôles du coffret, et une bonne part de son aspect hilarant tient à la gestuelle de l’acteur qui s’est manifestement amusé comme un fou dans ce contre-emploi.
agathe de lastyns
Ladislas Starewitch et alii, La Période russe de Ladislas Starewitch, 1909–1919, coffret de 2 DVD, éd. Doriane Films, décembre 2022, 292 min., — 18,00 €