Singulières et familières, moins pesantes qu’ailées, telles apparaissent les modèles féminins (pour la plupart) de la peintre Alice Neel à travers la superbe biofiction de Florence Andoka.
Celle-ci les rappelle à nous. Il y a là — à travers le “tu” de proximité — l’existence des femmes qui deviennent des images presque religieuses mais qui n’ignorent rien de l’éros et de la chair tandis qu’elles se permettent un plaisir particulier à l’instant de la venue dans l’atelier d’Alice Neel.
Et ce, dans un retour à leur genèse et parfois au vert paradis de leur source. C’est pourquoi existe en ce texte une émotion secrète qui fait corps avec celui des femmes. Le récit en fragments, sinueux, escarpé fait que nous sommes en partance là où sous la question “Que vois-je ? il y a la question “Où suis-je ?”.
Florence Andoka nous accompagne dans ce but jusqu’à l’atelier où l’artiste donne corps à ses modèles et les consacre comme à son tour l’écrivaine le propose. Cela rend possible une résurrection. Un feu d’étoupe brûle encore là où Florence Andoka n’usurpe rien. Elle saisit la peintre et les modèles telle qu’elles ou ils sont. Ou telles qu’elles ou ils doivent devenir. Elle peut repérer leur victoire. Cela, moins en asphodèles sur les ténèbres qu’en êtres libres.
Affirmer que de telles femmes — et quelques hommes, Warhol, Mapplethorpe — ont l’âme sereine serait violer leur énigme. L’auteure ne le fait pas. Mais entourée de ses modèles, à la cruauté nihiliste du noir de la créatrice fait place l’élévation par la lumière de la peinture de celle dont elle reprend à sa main l’existence et la beauté des chairs jeunes ou âgées.
Et il y a de la part des deux femmes parfois une manière de saluer la souffrance. Mais à l’immense mélancolie fait place la présence parfois sulfureuse de celles et ceux dont le visage peut échapper. Dans ce cas toutefois leur corps, celui de la peinture et des mots le retient. Aucune ne disparaît, elles revivent.
jean-paul gavard-perret
Florence Andoka, Rendre chair — une biofiction sur Alice Neel, Editions Les plis du ciel, Paris, septembre 2022, 130 p. — 13,50 €.