Pour me parler de ses recherches en thèse théorique et pratique sur la notion du secret dans l’art, Julia Amarger (ci-contre, copyright : David Schäfer) m’a fait partager le fragment de poème de Jose Bergamin : « LA VERACITE des mots / n’est pas vraie par ce qu’ils disent : / elle est vraie par ce qu’ils taisent. / Si les silences ne parlaient pas / personne ne pourrait dire / ce que cachent les mots. » Tout le travail de la créatrice aborde cette question du montré/caché, des limites et des seuils. Cela renvoie à une forme de dilatation de l’ expérience artistique et littéraire selon une radicalité aussi minimale qu’énigmatique en divers jeux d’attente.
Partant d’un décor “planté” l’image devient plus évanescente que figurative en sa force poétique. Tout est de l’ordre de la présence muette des mots et des attitudes. L’image éloigne ce que l’écriture rapproche. L’inverse pourrait être vrai. Néanmoins, plutôt que de conclure sur ce point, Julia Amarger cultive le suspens et une forme de tension blanche.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Une journée de travail, de nouvelles idées, l’envie d’un petit déjeuner…
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Mes rêves et désirs d’enfant évoluent et certains se réalisent, les voyages, la création… Les autres se sont probablement égarés au fil du temps mais ils ne sont pas encore perdus.
A quoi avez-vous renoncé ?
J’aimerais pourvoir dire que je n’ai renoncé à rien mais pour l’instant, à un mode vie stable.
D’où venez-vous ?
De France et d’Argentine. D’aller-retours entre deux continents, de rencontres improbables, parfois.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’obstination.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
M’endormir 20 minutes en écoutant la radio, idéalement vers 18 heures.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Peut-être ma démarche, ma manière de concevoir mes photographies, de les penser. J’écris mes idées, je fais des croquis et je sors mon appareil seulement quand l’image est prête sur le papier. Tous aspirons à une singularité mais il est difficile d’avoir le recul nécessaire pour mettre des mots dessus.
Comment définiriez-vous votre approche des mots “à” l’image ?
Pas d’images sans mots. Il est presque systématique dans ma pratique que, pour la construction d’une nouvelle photographie, j’ai besoin d’éléments de langage.
Dans mon projet « Ceci est un secret », les secrets que l’on m’a envoyés par la poste m’ont m’inspirée pour concevoir l’image. C’est-à-dire qu’il y a eu l’inscription de mots sur un papier (par un tiers) avant que je puisse réaliser chacune des photographies.
Dans un autre projet, j’ai photographié des personnes avec un temps d’obturation de plusieurs secondes en leur demandant de parler lors de la prise de vue pour que les mots soient incompréhensibles mais bien présents à l’image.
Enfin, je suis actuellement en plein travail sur le projet « La phosphorescence de la mer » et c’est ce fragment de phrase même (écouté par hasard dans une émission radio sur Darwin), qui a été le déclencheur du projet.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Les tournesols de Van Gogh, tableau que j’ai découvert à l’école primaire ; mais je ne pourrais pas expliquer aujourd’hui pourquoi il m’a autant émue à ce moment là.
Et votre première lecture ?
« Mon bel oranger » de Jose Mauro de Vasconcelos.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute beaucoup de musiques différentes, en allant du rock vers le folklore argentin en passant par un peu d’électro et de classique.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Le dernier en date : « L’aventure de Miguel Littin » de Gabriel Garcia Marquez.
Quel film vous fait pleurer ?
Ils sont nombreux, je pleure souvent devant des films. Je suis d’ailleurs très en colère quand je sens que le réalisateur a réussi à me faire pleurer un peu trop facilement !
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je ne vois personne, je vois une image : celle de la personne que je pense être.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Enfant, à mes amoureux alors qu’aujourd’hui si je n’ose pas parler à quelqu’un, je lui écris.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le Chimborazo, un volcan en Equateur. C’est mon premier grand souvenir d’aventure, j’avais onze ans, j’y suis retournée il y a quelques années et c’est peut être ce qui lui confère cette valeur de mythe.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Les premiers auxquels je pense sont : George Perec, Edouard Levé, Alfredo Jaar, Allan Sekula, Dieter Appelt, Elina Brotherus…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
La date approche, vous faîtes bien de me poser la question ! J’aimerais une surprise (seulement si je n’ai pas été mise au courant que j’allais en recevoir une). Sinon un casse-tête (idéalement un Rubik’s cube) ou alors un voyage.
Que défendez-vous ?
Au niveau collectif, un monde juste et poétique. De façon individuelle, ma liberté.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
Alors comment dois-je appeler ce que je pense donner et recevoir ?
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ? »
Curieux, j’aurais répondu l’inverse !
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Si après toutes ces questions je n’ai pas envie de vous en poser une à mon tour.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 26 septembre 2016.