Daech et le cinéma : représenter l’horreur
Daech, dans les studios de sa maison de production plus élaborée qu’on ne le croit, caresse une vieille idée de la représentation : celui du spectacle des supplices qui traverse l’Histoire. Toute dignité est enlevée au spectateur. Il vient se repaître de ce qui en lui est parfois le plus sourd et refoulé : sa propre mort.
Dans ce cinéma où s’égrainent des exécutions, tout hors-champ est évacué. Jean-Louis Comolli montre comment le spectateur ne peut divaguer, il est enfermé dans le champ selon une vision totalitaire ou le dehors n’existe plus. Tous les corps croyants doivent se fondre dans un champ qui s’assimile à une unité de vision, à la seule communauté « avouable ».
La cinématographie de Daech joue sur la fascination de l’horreur, impose ce stimulus pour saccager la pensée, l’annihiler en s’inspirant souvent du cinéma hollywoodien. Le spectateur n’est pas invité à regarder : il y est contraint. Car de tels films jouent sur la croyance comme sur la curiosité du trouble, de l’horreur et non d’un appétit au savoir. Il s’agit de faire peur. Alors que le cinéma est par essence le lieu de l’artifice, celui de Daech est un contre-artifice. Ce cinéma ne survit pas à la mort, car la mort n’est en rien jouée. Il ne peut y avoir de distance, de liberté. Le spectateur ne peut sortir du piège qui lui est tendu.
Existe donc une politique des images où le monstrueux est revendiqué comme tel. Comolli analyse comment ce cinéma casse toute distance critique pour prendre en otage le spectateur au nom d’une pornographie au sens premier du texte : montrer ce qui ne peut être vu. D’où la fascination et le succès sur Internet de cette filmographie morbide. Elle ramène le spectateur à un spectacle qui le sidère de la manière la plus primitive. L’intelligence est court-circuitée par l’ « éblouissement » de l’horreur.
Dans un tel cinéma il s’agit de coaliser les spectateurs pour l’intérêt des horreurs montrées. Et si ce cinéma semble né du documentaire, il se situe dans l’imaginaire et non pas dans une consécution logique. Il est dans le jeu. Mais un jeu très particulier : il n’existe plus de marge de flottement, de réversibilité. Tout est définitif, sans retour. Et sans possibilité de contradiction chez le spectateur.
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jean-paul gavard-perret
Jean-Louis Comolli, Daech le cinéma et la mort, Editions Verdier, 2016, 128 p. — 13, 50 €.