Pascale de Trazegnies, Le Mort

Re-père, re-perte

Bruxelles la nuit. « La Notte » si l’on pré­fère, tant on dirait de l’Antonioni puisque l’héroïne est per­due. Lou n’est un loup que pour elle-même. C’est une Monica Vitti du Nord avec son père volé, perdu. Un père sans repère et inca­pable d’en don­ner.
Pas de Papa : « il était mort pour moi ». Reçu mort et repris de la même façon. « Est-ce qu’il aurait pleuré pour moi ? » se demande sans illu­sion celle qui igno­rait tout de lui sauf qu’il était épris des femmes, blondes, brunes, épris d’une maî­tresse et d’une autre Lou (l’illégitime). Sans doute pas le temps pour l’autre, la « vraie ».

Et ça laisse des traces. Trente ans de vie, de vide devant le visage du mort, du tou­jours dis­paru. Et sou­dain, le décès crée une sorte de folie et une dérive dans Bruxelles et ses ban­lieues. Avec la sourde pous­sée de se perdre entre alcools, amis d’antan, ren­contres impro­bable, désirs, fan­tasmes qu’on dit absurdes mais qui ne le sont peut-être pas. Et sous la cara­pace de la dou­leur de Lou, juste une volonté autant de puis­sance que d’impuissance. Elle mène autant à l’impossible révé­la­tion et révo­lu­tion qu’à la perte.
La nuit fait le reste : « On a tous peur de la nuit. On se regroupe avec le reste du trou­peau. On s’accouple. Sur­tout la nuit.». Sans amour pour la méca­nique pla­quée sur du vivant pour une danse fina­le­ment macabre : après Anto­nioni, Bergman.

Existe dans une telle fic­tion une condi­tion abso­lu­ment néces­saire : elle ne peut pas être occul­tée ou ne repré­sen­ter qu’un simple pré­texte. Elle est flé­chée par sa nar­ra­trice. Elle n’a de valeur que si le dedans reste plus impor­tant que le dehors qu’il induit en fai­sant sur­face. Le livre devient ainsi la lettre d’amour qui ne s’écrit pas mais qui rem­place tout dis­cours. Son « enve­loppe » devient un tra­jet.
L’important reste la tra­jec­toire, l’ « adresse ». Non seule­ment l’envoyeuse mais son des­ti­na­taire déter­mine son exis­tence : en cette liai­son post-mortem appa­raît le rap­port impos­sible. Il rem­place l’imaginaire de l’attente par celui de la fin.

jean-paul gavard-perret

Pas­cale de Tra­ze­gnies, Le Mort, Pré­face de Michel Host, Edi­tions Wey­rich, Col­lec­tion “Plumes du Coq”, 2016 — 13,00 €.

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