Samuel Dudouit, Alain Jouffroy passe sans porte

Néces­saire réhabilitation

Alain Jouf­froy n’a pas eu tou­jours bonne presse. Il est vrai qu’il ten­dait par­fois des perches pour se faire battre. Néan­moins, il reste une figure cen­trale de la poé­sie et d’une forme de « cri­tique » dans laquelle le Sur­réa­lisme garde une place cen­trale mais non abso­lue. Bre­ton et Ara­gon y font bonne figure mais place est faite à bien d’autres, de Dante à Clau­del en pas­sant par Hugo. A sa manière, Jouf­froy fut donc un ico­no­claste. Mais son œuvre est occul­tée ; d’où l’intérêt majeur du livre de Samuel Dudouit, qui se défi­nit lui-même comme cycliste en appar­te­ment capable d’écrire des poèmes en même temps… Il est un des raris­simes venus à la res­cousse d’un auteur déjà presque oublié. C’est sans doute le prix à payer pour tout écri­vain hors cadre. Sa liberté est gênante et il ne peut être annexé à des cou­rants de pen­sée même si ceux-là dans l’époque contem­po­raine se perdent en un invrai­sem­blable magma.

Consi­déré par­fois comme  violent et acerbe, Jouf­froy fut pour­tant quelqu’un d’abruptement doux qui ne crai­gnait pas de rire de tout. Et en pre­mier chef de ce qui lui tenait le plus à cœur : l’art et la poé­sie. Dès les années 60, il annonce l’abolition de l’art. Mais il faut com­prendre ce que pour lui une telle péti­tion de prin­cipe recou­vrait : il ne s’agissait pas de le sacri­fier stricto sensu mais de le déga­ger de sa « mytho­lo­gie ». Jouf­froy vou­lut plu­tôt abo­lir l’art de ses codages afin de lui redon­ner une liberté. La même qu’il reven­di­quait pour une poé­sie. Elle devait rede­ve­nir ce que Dudouit nomme « une vériable effrac­tion dans le som­meil ». D’où l’appartenance d’Alain Jouf­froy à divers mou­ve­ments éphé­mères tel que celui des « poètes élec­triques » qui insuf­flèrent une nou­velle éner­gie à un genre voué appa­rem­ment à la désué­tude. On aime­rait savoir à ce titre ce que pen­se­rait l’auteur du slam d’aujourd’hui. Sans doute trouverait-il là — et en dépit d’une cer­taine logor­rhée – un moyen de sai­sir le pré­sent, de le pen­ser, de le ressentir.

Samuel Dudouit pro­pose un vaste tour d’une œuvre qui arti­cule poé­tique et poli­tique en vue de leur « révo­lu­tion ». Certes, le poète pri­vi­lé­gia non sans rai­son la révo­lu­tion du corps indi­vi­duel avant celui du corps social. Il le prouva lui-même dans sa façon de « faire à contre­temps ». Et on saluera tou­jours l’artiste pour le don de trai­ter les œuvres sans res­pect absolu ni déni­gre­ment sys­té­ma­tique.
A ce titre, sa vision de Bre­ton est signi­fi­ca­tive. Lire l’essai de Dudouit est donc un moyen de retrou­ver un poète capable d’assumer ses propres contra­dic­tions et de tor­piller – si néces­saire — ses propres affir­ma­tions. Cer­taines d’entre elles peuvent être jugées — momen­ta­né­ment — désuètes, mais d’autres res­tent opé­ra­tion­nelles. En en fai­sant le tour, l’essayiste per­met au lec­teur d’en juger.

Lire un extrait

jean-paul gavard-perret

Samuel Dudouit, Alain Jouf­froy passe sans porte, Les Edi­tions du Lit­té­raire, Paris, 2015, 352 p. — 25,00 €.

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