Pierre-Robert Leclercq, André Gill, les dessins de presse et la censure

Une pas­sion­nante bio­gra­phie du des­si­na­teur André Gill

Pierre-Robert Leclercq, par­ti­cu­liè­re­ment doué pour faire revivre des per­son­nages oubliés ou mécon­nus du XIXe et du XXe siècles, nous offre ici une pas­sion­nante bio­gra­phie du des­si­na­teur André Gill, dou­blée d’une étude des rap­ports entre la presse et la cen­sure dans les années 1840–1880.
La figure de Gill (pseu­do­nyme de Louis Alexandre Gos­set de Guines) est roma­nesque au pos­sible : enfant illé­gi­time d’un aris­to­crate, adopté par son grand-père pater­nel, et à la mort de l’aïeul, par sa tante, vieille fille affec­tueuse, il est ainsi tiré de la misère pour retom­ber assez tôt dans la pau­vreté. Doué pour le des­sin mais refusé par l’Ecole des Beaux-Arts, contraint de vivre d’expédients entre deux périodes où ses cari­ca­tures lui valent un cer­tain suc­cès, il acquiert pro­gres­si­ve­ment la célé­brité sans jamais finir pour autant par sor­tir de la pré­ca­rité.
C’est ce qui rend émou­vante l’histoire de sa vie : à chaque étape, Gill est menacé de tout perdre, tan­tôt à cause de la cen­sure qui fait dis­pa­raître les jour­naux où il publie, tan­tôt parce qu’ils dépé­rissent d’eux-mêmes ; ses opi­nions poli­tiques le mettent en dan­ger même phy­si­que­ment, du temps de la Com­mune, et lui com­pliquent l’existence de nombre d’autres manières. Par com­pa­rai­son avec les épreuves qu’il a tra­ver­sées, les satis­fac­tions que lui a valu son talent semblent bien maigres. On com­prend qu’il ait fini par souf­frir d’une forme de folie, que Pierre-Robert Leclercq décrit de façon poi­gnante. Les efforts qu’il fait pour se réta­blir et pour recom­men­cer à tra­vailler appa­raissent comme héroïques ; tou­te­fois, c’est à l’asile de Cha­ren­ton que sa vie s’achève.

Les rela­tions et les ami­tiés de Gill, dont celles avec Cour­bet, Jules Val­lès, Gam­betta et Dau­det, donnent à Leclercq autant d’occasions de faire revivre non seule­ment les per­son­nages en ques­tion, mais aussi toute une société, avec ses cou­rants d’idées, ses engoue­ments poli­tiques, ses usages et ses codes. Au pas­sage, l’auteur nous livre le genre d’aperçus et d’anecdotes qui confèrent un charme par­ti­cu­lier à ses bio­gra­phies, allant du rite du Bœuf gras (pp. 53–54) à la visite que le jeune Rim­baud ren­dit à Gill dont il était l’admirateur.
L’ouvrage est illus­tré, ce qui per­met au lec­teur de se faire une idée assez pré­cise de l’originalité et de la force expres­sive des des­sins de Gill. On regrette seule­ment que la plu­part des repro­duc­tions soient d’un for­mat trop petit pour être assez nettes et nuan­cées. A quand un beau livre sur André Gill, dont Leclercq serait l’auteur ?

agathe de lastyns

Pierre-Robert Leclercq, André Gill, les des­sins de presse et la cen­sure, Les Belles Lettres, juin 2015, 210 p. – 19,00 €

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