Un Mexique baroque et délirant
Étant donné que l’humanité souffrante développe les mêmes travers, les mêmes vices quel que soit le lieu de la planète, il est normal que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le meurtre, la prostitution sévissent sur tous les points du globe. Seuls le cadre et le décor peuvent être différents. C’est ce qu’Élmer Mendoza met en valeur dans ce superbe roman, sur les pas d’un détective atypique.
Edgar Mendieta est policier à Mexico. Il déprime car, à quarante-trois ans, il pense avoir raté sa vie. Il est seul avec un boulot de chien. Leo McGiver est trafiquant. Il fournit tout ce que l’on peut désirer pour peu qu’on y mettre le prix. Mayra Cabral de Melo est Brésilienne. Elle a été assassinée d’une balle dans la tête. Cette fille superbe, qui travaillait comme stripteaseuse à l’Alexa, était très recherchée, mais très chère, des prix exorbitants. Seules trois personnes pouvaient s’offrir son amour. C’est Edgar qui est chargé de l’enquête, une enquête qui ne va pas lui regonfler le moral. Il a approché Mayra de près et celle-ci, paradoxalement, s’est intéressée à lui. Quand le gouvernement, pour jouer les “gros bras”, pour faire des roulements d’épaules, annonce qu’il entre en lutte contre les narcos, ceux-ci se dotent des moyens de se défendre. Et les cadavres encombrent la route de Mendieta, une route sinueuse dans les bas-fonds mexicains…
L’intrigue à tiroirs imaginée par Élmer Mendoza révèle une partie de la population du Mexique, celle que le touriste ne voit pas. Il faut, pour la côtoyer, fréquenter assidument les milieux de la nuit. Le romancier concocte une série de meurtres, de crimes et les présente avec un suspense entretenu, une pression qui s’accentue au fil du déroulement du récit. Dans cette marmite où se débat toute une faune aux liaisons dangereuses, il place un détective qui n’est pas au mieux de sa forme, ni physique, ni morale. Avec Edgar Mendieta, dont la première enquête, Balles d’argent, est parue dans La Série noire en 2011, il introduit une large part d’humanité. Il fait défiler, autour de lui, une galerie de personnages hauts en couleurs et les place dans des situations pour le moins inconfortables. Mais si le spleen est fort, les réflexes d’enquêteur restent affutés.
L’auteur offre de nombreuses réflexions sur la société mexicaine et livre de belles expressions imagées telles que, pour décrire la mort d’un tueur : “El Muerto tomba doucement, tout surpris, avec l’envie de raconter tout ce qu’il voyait de son passage vers l’au-delà...”. Il réalise un travail conséquent sur l’écriture, propose un vocabulaire attractif où il mêle un argot plaisant, tout en développant un style dense qui n’est pas toujours facile à lire. En effet, Élmer Mendoza rédige tout son livre en paragraphes compacts qui incluent les dialogues où les phrases échangées se suivent, sans la rupture d’un retour à la ligne. Tant dans les situations que dans les réflexions, il ne se départit pas d’une bonne dose d’humour. Aussi, malgré la tension du récit, on sourit beaucoup à la lecture de ce roman.
L’épreuve de l’acide permet de découvrir un auteur à l’imagination fertile, à l’univers riche, qui sait manier le verbe avec aisance pour une intrigue de bonne facture.
serge perraud
Élmer Mendoza, L’épreuve de l’acide, (La prueba del ácido), traduit de l’espagnol (Mexique) par René Solis, Métailié Noir, coll. “Bibliothèque hispano-américaine”, avril 2014, 228 p. – 18,00 €.