Pierre-Robert Leclercq, 70 ans de café-concert, 1848–1918

Une occa­sion rare et réjouis­sante de nous plon­ger dans le monde de la chan­son popu­laire

Le nou­vel ouvrage de Pierre-Robert Leclercq nous donne l’occasion rare et réjouis­sante de nous plon­ger dans un monde presque oublié, celui de la chan­son popu­laire des époques anté­rieures au règne de l’industrie du disque. Même si le titre du livre n’évoque qu’une période de soixante-dix ans, l’auteur com­mence par nous racon­ter la nais­sance de la Société du Caveau, en 1729, puis des autres socié­tés chan­tantes (clubs d’amateurs) qui se muèrent en « goguettes », débits de bois­son où l’on chan­tait en chœur. De l’amateurisme, on passe pro­gres­si­ve­ment à la pro­fes­sion­na­li­sa­tion qui sépare les inter­prètes des clients, ces der­niers deve­nant spec­ta­teurs. Pierre-Robert Leclercq raconte cette évo­lu­tion vers une nou­velle forme de spec­tacle en l’entrelaçant habi­le­ment à de concises indi­ca­tions sur les chan­ge­ments his­to­riques et sociaux que connut la France entre la fin de l’Ancien Régime et la Deuxième République.

A par­tir de 1848, les débits de bois­sons sont auto­ri­sés à avoir des musi­ciens à postes fixes : le métier d’artiste de café-concert appa­raît et se déve­loppe vite. Parmi ses pre­mières vedettes, l’auteur met en avant Dar­cier, chanteur-compositeur dont Ber­lioz lui-même goû­tait l’art, et Thé­résa, qui comp­tait Degas parmi ses admi­ra­teurs. L’un des savou­reux pas­sages que l’auteur consacre à Thé­résa nous apprend qu’elle fut reçue et pro­mue par la prin­cesse de Met­ter­nich – cas sans pré­cé­dent pour une vedette popu­laire – et mieux encore, invi­tée à une fête impé­riale aux Tui­le­ries. Suite à cet évé­ne­ment, inter­viewée pour Le Figaro, la chan­teuse déclare : “Mince que je te les ai épa­tés, tes grands sei­gneurs et tes grandes sei­gneuses“ (sic), pro­pos qui méri­te­rait d’être gravé dans le marbre, ou du moins de deve­nir pro­ver­bial dans le monde du spec­tacle : qui sau­rait résu­mer plus élo­quem­ment le pou­voir d’une vraie vedette (tou­jours supé­rieur à celui d’un chef d’Etat) ? Pierre-Robert Leclercq a l’art et la manière non seule­ment de déter­rer de telles perles, mais aussi de mettre en valeur les extraits de chan­sons, les com­men­taires jour­na­lis­tiques d’époque et toutes les don­nées docu­men­taires qu’il uti­lise, en les insé­rant dans son récit aux endroits les plus appro­priés, par­fois les moins pré­vi­sibles, avec malice.

De Thé­résa à Yvette Guil­bert et d’Aristide Bruant à Félix Mayol, l’ouvrage nous fait par­cou­rir l’histoire d’une chan­son popu­laire à la fois indis­so­ciable de son temps et éton­nam­ment proche, mal­gré les appa­rences, de celle de nos jours, notam­ment par la coexis­tence du pire et du meilleur parmi les textes des « tubes ». N’en disons pas davan­tage pour évi­ter de gâcher le plai­sir qu’aura le lec­teur à suivre Pierre-Robert Leclercq au fil des pages et des refrains.

agathe de lastyns

Pierre-Robert Leclercq, 70 ans de café-concert, 1848–1918, Les Belles Lettres, février 2014, 196 p. – 19,50 €

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