Valéry Molet, L’Appel des décombres, ou Pourquoi je lis « Gilles » de Pierre Drieu la Rochelle

Valéry Molet, L’Appel des décombres, ou Pourquoi je lis « Gilles » de Pierre Drieu la Rochelle

Nouvelle plume au litteraire.com, Sabine Zuberek, d’origine germano-slave, enseigne et vit à Lille. Agrégée de Lettres modernes, elle a longtemps travaillé sur l’œuvre de Blaise Cendrars et de Rudyard Kipling en littérature comparée à l’Université de Lille III, puis à Paris Nanterre. Egalement diplômée en linguistique, elle s’est décidée tardivement à la publication. Ecrivant surtout de la poésie, elle a co-fondé avec une amie poète l’Association des Amis de Pierre Dhainaut et co-créé avec elle le Prix Pierre Dhainaut du livre d’artiste pour le public scolaire de l’académie de Lille. Elle collabore à plusieurs revues comme Terre à ciel, Recours au poème ou Poésie première en tant que poète et critique littéraire.

Petit livre pour initiés ?

L’on tient dans la main un bien étrange petit livre, le genre de livre à se passer sous le manteau entre avertis, d’ailleurs plus petit que la main, à la couverture de papier mâché ou de cendres blanches, barrée d’ésotériques flammes, feux follets, âmes en peine au bord du purgatoire, esprits diablotins. Quelques lettrines achèvent de lui donner un faux air de grimoire qui promet de saper les représentations. Un programme d’abord éditorial1

Cet étrange petit livre, le Harry Haller d’Hermann Hesse aurait pu le trouver, glissé à son insu par un homme jailli d’une ruelle obscure et aussitôt évanoui, dans la poche de son manteau détrempé : petite brochure de foire ou tombée sous la main dans un cabinet de curiosités transformé en Théâtre magique des suicidés de la société.
Plus qu’un essai, un Traité réservé aux insensés pour loup des steppes ! Sinon un piquant pamphilet – non un pamphlet mais ici la forme dérivée de l’ancien français, elle-même issue du latin « Pamphilus » : le livre de Molet au format certes bref n’est pas à proprement parler un pamphlet, il mêle plusieurs genres où court un « filet » d’indignation – dans un millénaire où l’on peut désormais tout dire sans finir assassiné mais où l’on ne dit rien sauf à tondre le mouton noir, singeant une subversion qui bêle entre les cloués au piloris du moment, Ernaux et Tesson. L’ironie, elle, ne plaisante toujours pas ! On en a plus que jamais besoin à l’heure des gorges tièdes et politiquement correctes. Molet choisit toujours la face nord de la critique littéraire.

Revenons au petit livre des souterrains. Son titre est du Molet tout craché, comme crachait Céline, dans la jouissance paradoxale de la décomposition : L’Appel des décombres résonne, dirait le Harry Haller de Hesse, comme une pensée trop vieille ou trop jeune pour nos sociétés déliquescentes et factices. Elle suggère d’adopter l’idée du rejet comme une exquise sensation, le juge assis en face de l’assassin, les yeux dans les yeux, un bref instant pour deux âmes nues au milieu d’une journée passable et vulgaire.
L’essai est le genre qui sied à l’écriture aux mille nuances d’amertume de Valéry Molet. L’essai est son genre, qui va « à sauts et à gambades » de la forme d’un rien qu’elle prend dans les détours pour revenir au sujet qui l’occupe : son Drieu. Tombée, la Rochelle.

Molet s’y fait le tisonnier des cendres mourantes de notre nouveau Mal du siècle et monte en ténébreux au front de notre propension au déboulonnage tonitruant, expliquant pourquoi il lit le Gilles de Drieu qui s’oppose pourtant « à ce qu’[il est] ». Il rue dans les brancards, il n’aura pas de mal à nous hérisser ! Il ne s’agit toutefois aucunement de réhabiliter le maudit politique, mais de dériver dans le sillage d’une oeuvre, purgatoire de la bêtise qui agit comme un repoussoir d’une noire lucidité.
Il s’agit pour Molet de porter le risque d’une conscience énergique, celle du lecteur précis qu’il est et qui lui fait écrire en définitive : « Le Fascisme, même avec un grand F, n’est jamais qu’un fatras vers la déroute. Il est indispensable d’être dégoûté de l’existence pour la dévaloriser sous l’angle de la détestation de tout. » (p. 43). Comme le disait Gide, qui s’était pourtant opposé à ce que Drieu soit de nouveau publié après Vichy : « On ne fait pas de littérature avec de bons sentiments ». C’est de littérature dont il est question dans L’Appel des décombres, et de cette « esthétique de l’impuissance » qui caractérise, selon Molet, le roman de Drieu, chevalier noir de sa propre Apocalypse.

Peut-on encore lire Gilles de Drieu la Rochelle ? Retour en boomerang de la question posée au soir du Jugement de l’Histoire.

A rebours de la cancel culture, Valéry Molet tente une lecture esthétique du roman le plus ouvertement antisémite – notons que l’argument antisémite fut de peu de poids dans la censure qui le condamna en 1939 – de l’écrivain collaborationniste relégué au rang des pestiférés du patrimoine littéraire français. Sans nier – le contraire serait obscène – les multiples revirements idéologiques et l’engagement fasciste de Drieu, ex-ami d’Aragon, de Malraux, et un temps philosémite, Molet montre que Gilles, frère ennemi d’Aurélien, est moins un roman à thèse qu’un roman à charge contre une époque marquée par la décadence, une œuvre plus complexe qu’il n’y paraît, celle d’un « homme hanté par le mal du siècle 2, trempant sa plume à l’amertume et au désespoir, humeurs noires d’un XXème siècle tenté par tous les manifestes en -ismes, du plus sublime au plus repoussant.
Drieu l’amoureux ; Drieu le métaphysique ; Drieu, le fou furieux ; Drieu le gamin bourgeois cynique par-delà toutes ses dissonances politiques jamais digérées : « Gilles hésite sur la voie à suivre. Drieu n’hésita pas comme tous les êtres dubitatifs. « J’ai joué, j’ai perdu, je mérite la mort » » (pp. 16-17).

Le programme de Valéry Molet est le suivant : comprendre l’homme Drieu, lequel a éprouvé toutes les contradictions jusqu’à tendre allègrement le flanc à ses imprécateurs, comprendre l’intimité d’une énigme. Montrer, à l’instar de Gaëtan Picon à qui nous empruntons le propos, que « l’échec de Drieu, après tout, est celui de la sincérité »3, celle d’un homme en proie au doute perpétuel et avide d’« une régénérescence française » dans un air du temps vérolé, car Drieu, c’est une vie qui peut se caricaturer en trois postures dans une IIIème République corrompue jusqu’à la moëlle : dandy démocrate et philosémite, puis fasciste névrosé et obsédé par les Juifs, suicidé enfin, déçu du fascisme et refusant toute porte de sortie, ouverte par ceux de l’autre bord qui voyaient toujours en lui une noblesse d’âme dans le chaos de la raison.
Fasciste et antisémite délirant et féroce qui fit ainsi libérer plusieurs écrivains prisonniers des camps de travail, comme Sartre, aida Jean Paulhan à fuir la Gestapo ou sauva ses amis juifs dont sa première épouse. Sans en faire une excuse – toutes les contradictions sont à prendre en compte -, l’on peut admettre avec Molet que son fascisme fut consubstantiel à sa sincérité et reconnaître que, sur un plan esthétique, Drieu reste un grand écrivain, n’en déplaise à ceux que Molet appelle « les imbéciles cacophoniques » : « Drieu a compris que les romans ne doivent pas être romanesques […] Comme tous les vrais créateurs, il considérait la forme romanesque comme dépassée. » (p. 6).

Molet ne redore pas la biographie de Drieu, n’analyse pas un roman qui le fut peu : il part de sa réception de Gilles, le roman de Drieu qu’il « aime le moins », d’une évaluation de ses thèmes (la guerre, les femmes, le sexe, l’argent…) pour dire sa propre humeur, sa propre complexion dans le miroir que lui tendent l’auteur et son personnage aux facettes multiples et contradictoires. Deux époques se répondent : celle de l’entre-deux-guerres et la nôtre, toutes deux marquées par une décadence, une bassesse politique et morale « qui voit l’espérance même se détruire »4, un appauvrissement de l’âme.
Le roman Gilles devient pour Molet le foyer à partir duquel se diffractent son « moi » et notre époque. Molet joue de la fonction évaluative de la lecture et du dédoublement qu’elle autorise. Son approche de Gilles, loin d’être univoque, procède par accumulation de nuances qui produisent un constant brouillage de l’image de roman haineux et invitent à envisager celui-ci comme le parcours initiatique d’un jouisseur obsédé par la mort, comme la trajectoire d’un désastre assumé. L’authenticité de Gilles serait celle des humeurs, non celle des dogmes réactionnaires : « Heureusement que les armées allemandes ne sont plus dans nos rues : on ne sait jamais vers quelle parodie cela nous aurait entraînés. Sûrement une dinguerie. Pourtant, à en juger par la vie nocturne de la plupart de nos capitales, on a le sentiment en forme de casque à pointe que le couvre-feu est devenu la marotte urbaine. Pauvre Drieu, tu vois, rien n’a vraiment changé depuis que tu nous as quittés. Pendant ce temps, Gilles a chaussé la carrière du quai d’Orsay. Il rédige des notes inutiles sur des conflits dont tout le monde se fiche. », écrit Molet méditant sur Gilles (p. 17).

Molet envisage l’histoire du personnage comme celle de l’intériorisation d’une errance collective tout à fait ordinaire, dans laquelle tout lecteur pourrait se reconnaître : « On est humain dans la mesure où l’on fait entorse à ses dogmes5 ». Gilles est cet alter ego ambivalent, de ceux qui « scrut[ent] le monde comme s’il[s] n’en venai[ent] pas » et dont le point de vue s’attache « au déclin des êtres et des choses », et à l’argent comme « possibilité de haïr tout le monde sans en rendre compte » (p. 10). Gilles devient le prisme ultime : « De retour à Paris, avec Pauline, Gilles se fourvoie dans la politique. Son Apocalypse ne révèle rien. Tous les soirs sont mortels lorsqu’on entre en politique. Toutes les journées deviennent pénibles. Bien sûr, on s’agite. Bien sûr, il y a des réunions. Bien sûr, il y a des débats. La faiblesse de Gilles réside dans son affectation politique alors qu’il sait que « les affaires humaines se développent dans un incroyable désordre, un entrecroisement d’ignorances, une négligence, une rêvasserie universelle ». La politique est la métaphysique des godelureaux, un « inénarrable carambolage de riens ». Pourquoi sa lucidité fait-elle défaut ? Il sait que l’amitié fond et que l’amour évoque la détresse la plus pithécanthrope. Pourquoi se perd-il ainsi en croyant à la décadence, aux défis français et autres fanfreluches folkloriques ? Car il n’éprouve jamais la vacuité ou presque » (pp. 39-40).

Cette vacuité, Molet, à l’inverse du personnage de Drieu, la ressent, comme il sent la « volonté [de Drieu] de toucher le fond » ; pèse en la voix de Drieu « la sainte indifférence de son cœur ». Toute lecture doit moins traquer le sens de l’œuvre que soupeser le risque qu’elle prend. Dans le risque gît la liberté qui n’est pas à confondre avec l’indépendance qui sécurise, explique Valéry Molet.

« Drieu est un autre moi-même » : Drieu plus intime

Le roman de Drieu figure un canevas de tensions âpres sur lequel Molet brode ses propres réflexions et passe le doigt sur des cicatrices rouges comme des crêtes de coq : « Drieu est un autre moi-même. Pourtant, je ne suis ni séducteur comme lui, ni athlétique, ni politisé, ni fasciste, encore moins suicidaire […]. J’aurais pu être tout cela si je n’avais pas été un bavardage de moi-même. Drieu s’oppose à ce que je suis mais ses livres se comportent comme mes autobiographies. De tous ses livres, Gilles est celui que j’aime le moins et qui m’est le plus proche. », lit-on en première page.

Planter un couteau dans le visage observé, c’est encore clouer l’homme à son reflet. Pour échapper à l’erreur qu’il y a à se regarder dans le miroir, le détour est nécessaire pour atteindre la proximité. L’écriture de L’Appel des décombres s’ouvre toujours du point au contrepoint et prend en charge tout ce qu’elle peut drainer de prosaïque, de trouble, de maladif, de nauséeux et de pervers dans nos consciences. Molet y évalue la sienne dans cette altération nécessaire qu’implique l’expérience de la lecture et de l’écriture : « Gilles est un roman sans espérance. Je n’avais jamais approché de si près la laideur. »
Plus intimement, il écrit quelques pages plus tôt : « La majorité des vies ressemble à des voyages au long cours sans bateau ni voie navigable. La majorité des vies singe une enquête de police : c’est lent, affreusement lent. C’est lourd, affreusement lourd. L’amour n’est jamais là. La mort n’est pas encore là. […] Il faudrait pouvoir regarder la mer, assis sur un poumon granitique. Le vent vous ébouriffe. Les vagues, perpétuellement en voie d’extinction, nouent le sable, la pierre et le cerveau. Le bric-à-brac devient sacré. Il n’y a plus rien que l’océan face à vous qui gigote dans son placenta de bestioles et d’algues. Pourquoi faut-il quitter la mer ? » (pp. 38,39).

Venir de Gilles à soi par vagues successives, ouvrir les poupées gigognes de l’amertume, soulager sa rate détraquée. Le petit livre gris laisse fermenter les thèmes du roman, les laisse se désaccorder à la lecture pour les accorder autrement au fil des pages dans un jeu d’anamorphoses curieuses et proliférantes propres à traduire l’instabilité de la forme humaine, le combat avec nos identités, nos incarnations, nos tentations, nos perversions.
Gilles apparaît à la fois comme le gibet et la mandragore du condamné à mort. Molet veille sur le bourreau et sur la victime comme sur un enfant malade. Il fait dévier sa lecture de Gilles, en déstabilise le texte dans un remodelage constant, une écriture rhapsodique qui vise à nous faire prendre un moment la mesure de notre individu comme il se mesure lui-même à l’aune d’un roman « d’une noirceur atroce qui ne dégouline sur aucun bonheur ».

La littérature est un commerce qui instaure une poétique de l’à-côté, définie comme la faculté d’accueillir l’inopiné, de piquer la curiosité de l’autre pour s’en faire accepter, de peser sur l’Autre en soi et en face de soi, peu importe les balances et les poids. Molet pèse et démêle les « faux papiers » et les « vraies trajectoires », les destinées falsifiées. Entre les pages de Gilles, il débusque l’homme nu et seul, élégant « sous les coups de boutoir de l’ennui ». Gilles n’aura été ni élégant ni silencieux : « Son dernier geste est de prendre un fusil et de tirer comme un surréaliste sur des gens inconnus, en pensant savoir pourquoi. Ses idées sont des poignées d’amour arrachées au flanc des cochons. Je les comprends sans les comprendre, jamais. J’ai une définition de la bêtise : la bêtise, c’est l’absence de silence. Gilles pouvait se taire. Sa génération aurait pu se taire. Il n’est même pas capable de mourir à la fin. Aucun tee-shirt n’aura son visage pour effigie» (P 44).
La littérature s’origine toujours d’une erreur, l’écriture consiste à aller au bout de cette erreur. L’erreur est de faire reposer la création sur la créature, écrit à peu près en ces termes Blaise Cendrars dans L’Homme foudroyé.

La Guerre, grande Muse du XXème siècle : Apollinaire, Cendrars, Céline…et Drieu.

Drieu, « permissionnaire éternel », est un autre foudroyé, de ceux qui ont fait de la guerre la plus belle des amantes littéraires dans un siècle où « la chair gaie [est celle qui peut être] mutilée », écrit Molet. Il évoque comme une filiation les fleurs sublimes que sont les Poèmes à Lou d’ Apollinaire, écloses dans l’infâme des tranchées, « les serpents injurieux » de Céline et son Bardamu, les « pépites-castagnettes » de Cendrars qui voit surgir de terre des mains coupées comme d’autres fleurs inédites. Molet écrit encore : « Il y a plus de vérité esthétique dans un corps en charpie que dans le roulement obèse d’un caddie ».
Si la guerre semble actualiser en Drieu comme chez les autres un besoin d’échec, elle appelle résolument. Elle est cet appel des décombres pour se sentir vivant et « être avec les autres hommes », à l’écart d’une société vaine et assise dans une abjection autrement immorale. Oui, l’image des corps a radicalement changé au XXème siècle. Et l’oreille droite de Céline – l’oreille non malade – d’être attentive à la musique d’un troupeau de phoques qu’on brûle à petit feu. La musique de la guerre est un puissant caustique ! « De la musique en chair, en vif, en trait, en pointe ». Le rythme de la guerre est plus fort que la vie, jusque dans le frémissement des asticots qui ondulent dans la chair. Vive La Charogne de Baudelaire ! « Que de chefs-d’œuvre au bout d’une baïonnette ! », écrit de même Molet.

Comme Cendrars et Céline, Drieu fait aussi la part belle aux femmes, aux prostituées qui n’appartiennent à personne, au corps féminin qui entretient avec celui des morts au front une meurtrissure semblable. Il n’y a qu’un pas des camarades du front aux femmes. On est dans une littérature des ports, des foutoirs, des bordels, de l’érotisme et de la « pornographie idéale » comme pendant à l’appel de la mort… Molet cite au passage Aragon et La Défense de l’infini.

Le texte de Valéry Molet est un habit d’Arlequin. Un rien monstrueux et bouffon, au sens où il prend à rebrousse-poil ceux qui se la racontent, politiciens ou autres écrivains, tous ignobles au fond. Dans la circulation de l’écriture à la lecture, Molet pose les équations sommaires6 de notre monde, ce port exotique où il déballe son baluchon de forçat. Il assène comme on exhiberait des verrues : « Le bonheur ne supporte pas les conséquences », « le mensonge au cœur de l’organisation sociale [vaut mieux que la vérité] », « personne ne domine personne [:] il n’y a que des individus étanches les uns aux autres qui piétinent […] autrui » … Il éreinte ces autres Assis que nous sommes, tatoués, percés, connectés (on dirait Tesson !), qui nous dandinons dans les grandes surfaces de l’accomplissement humain d’aujourd’hui : le supermarché, les files « coupe-files » des espaces muséaux embouteillés et désormais accessibles par réservation du CE, le crématorium.
Il annonce la mort de l’Art, déjà dépassé, s’interroge sur la poésie… Molet s’aigrit-il ? Se froisse-t-il tragiquement, comme Antigone au contact de ce petit bonheur qui sent l’ail et « la saucisse », et « fait bip bip » ? Souhaite-t-il, comme Baudelaire dans Mon cœur mis à nu, flétrir « le soleil de la sottise » ? Il écrit, au terme de son parcours, que « Gilles se déteste dans Drieu » et que « Drieu provoque Gilles dans sa soif de destruction » : « Drieu est au-delà du pessimisme. Il nous abandonne, seuls, frêles oisillons tombés de nulle part. En refermant ces presque sept cents pages, vous vous sentez un peu amers ». Collé à Drieu, à son humanité terrible, Molet envisage lui-même l’idée du suicide entre deux lignes discrètes qu’il balaie vite d’une pirouette de la dérision dont il a le secret et qui colle aux doigts comme de la barbe à papa.

Nous gagerons que Valéry Molet reste « un conversationniste spirituel » et un flâneur parisien que Paris, capable d’absorber tous les vandalismes politiques, tous les programmes de défiguration artistiques ou urbains en ce qu’elle n’est pas une Rome figée dans son éternité, sauve encore d’une « élongation de soi » et d’une amertume mortifère. C’est cela sans doute, « prendre de la hauteur », celle du dandy et de l’honnête homme, dont l’aristocratie se manifeste dans un désœuvrement métaphysique ou une médiocrité dorée.

sabine zuberek

Valéry Molet, L’Appel des décombres, ou Pourquoi je lis Gilles de Pierre Drieu la Rochelle, Le Feu Sacré Editions, collection Les Feux Follets, janvier 2024 – 8,50 €.

Notes :

1La collection « Les Feux follets » est dirigée par Aurélien Lemant.

2 Expression empruntée, comme la référence à Gaëtan Picon, à l’article très fouillé de Pierre Chardot publié dans la revue Zone Critique.

3Lire l’article de Pierre Chardot dans la revue Zone critique, auquel on emprunte plusieurs références.

4Propos de Lange, personnage de Nizan dans son roman Le Cheval de Troie.

5Note du 8 février 1944. Journal 1939-1945, Drieu La Rochelle, Gallimard, 1992.

6Selon le sens que Genette donne à la notion de « sommaire ».

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