Une princesse à Barbès : entretien avec Apolonia Sokol

Une princesse à Barbès : entretien avec Apolonia Sokol

L’imaginaire d’Apolonia Sokol embrasse le monde sans suivre de modèles et avec beaucoup de déchirements mais peu d’hésitations. Frémissements, perditions, forces, humour, monde sourdement interlope sont parfois entremêlés. Il existe autant d’indices terrestres que ce qui leur échappe : ils font de l’artiste tout sauf une femme sous influence. Elle reste complexe, habitée par le dépassement de son travail et la révélation de l’échange dans l’ignorance : car elle sait impossible la rencontre de soi dans l’autre, de l’autre dans soi, de l’autre soi si ce n’est par la création artistique qui devance nombre de questions.

Apolonia Sokol ne proteste jamais contre le corps humain et surtout elle défend celui de la femme sans sacrifier à un imaginaire de représentation. Son « théâtre » ignore les artifices visuels et le pathos. Lumière ou ombre suffisent afin que jaillisse l’introuvable soi. La plupart du temps, les portraits sont de solitaires. En jaillissent des sensations cutanées puis charnelles.
Chaque modèle se plie simplement à la nécessité d’être là. Apolonia Sokol en propose les rehauts par la création conjointe de la vie et de la peinture plus que jamais « à venir ». L’artiste éprouve sans doute dans son travail un plaisir plus grand que celui ressenti tête renversée dans l’orgasme sur le lit des amours. Elle s’y retrouve en cercle tandis qu’elle éprouve en son ventre un cerveau, une constellation, le sentiment de l’espace. C’est ainsi que les mots cèdent et les images remontent dans une langue vitale d’un corps qui soudain ne connaît plus la solitude. Le poids de celle-ci s’efface. De l’enfantement pictural jaillit la voix de dedans que le mental ignore. Il en fait ensuite son miel car l’artiste est non seulement sensible mais intelligente.

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le parfait mélange de désespoir et d’ambition.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
J’ai grandi dans un théâtre à Château Rouge, un lieu vivant que mes parents ont créé à l’âge de 20 ans. Mes rêves étaient le déguisement, la magie de la scène, les décors, les histoires de vie, la poésie, le mensonge et aussi la vie de quartier. J’étais une princesse à Barbès et je ne rêvais de rien d’autre… J’avais le projet de devenir peintre

A quoi avez-vous renoncé ?
Le compromis.

D’où venez-vous ?
Je suis franco-polonaise, j’ai grandi en partie au Danemark mais autrement plutôt La Goutte d’or à Paris.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
La possibilité de partager ma maison, ma mère et mon père et toute ma famille ainsi que mes bien inexistants avec mon épouse.

Un petit plaisir – quotidien ou non ?
Je me sens bien quand je peins- mais ça fait mal tout de même.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Absolument rien, j’ai prêté serment comme tout les autres.

Comment définiriez-vous votre approche de l’éros ?
Il est périodique – parfois il n’y pas d’éros, ni de sentiments, parfois le corps et l’esprit n’est qu’une machine à peindre – et ça c’est le NIRVANA.

Quelle est la première image qui vous interpella ?
Christian Schad, « THE PIGEON-CHESTED MAN & THE BLACK DOVE », 1929 Mais d’après ma mère j’était fanatique des hiéroglyphes et de l’Egypte antique à l’âge de 5 ans. Ca m’est resté, Cheik Anta Diop est toujours une référence ; et j’en peux plus de la suprématie blanche.

Et votre première lecture ?
« La prose du transsibérien » de Blaise Cendrars et Sonia Delaunay, ça compte ? (« Oui », note de l’interviewer)

Quelles musiques écoutez-vous ?
Bonnie Banane, Wagner, Jill Scott, des cassettes de rap Satanic de Memphis des années 90’s. Steve Reich aussi

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Les récits de la Kolyma » de Varlam Chalamov pour ne pas oublier d’où vient ma famille.

Quel film vous fait pleurer ?
A peu près tous, j’adore pleurer au cinéma : « Fort Buchanan » de Benjamin Crotty & « Mamma Roma » de Pasolini, Herzog : surtout « Leçons des ténèbres ». Pour ceux qui ne savent pas lire, il est important de voir « CONCERNING VIOLENCE » avec Lauryn Hill et Franz Fannon.

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
L’incarnation du « chercheur d’or et de l’achimiste » rassemblés en une femme. Ou alors Elizabeth Taylor.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Elizabeth Peyton.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
NEW YORK.

Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Etrangement, DIDIER SEMIN.

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une visite des grottes de Lascaux. Ou alors : dernièrement, je suis allée voir un marabout au Sénégal pour résoudre quelques soucis. Il m’annonça à ma grande surprise, qu’absolument personne ne m’avait jeté de sort. Par contre, il m’a prescrit de faire de l’équitation. Donc si quelqu’un peut m’offrir un forfait cheval, ce serait parfait pour mon état moral et physique.

Que défendez-vous ?
Tout ce qui me regarde directement : il est mon devoir de protéger les femmes (avec la question du genre, ça implique les autres également), et la peinture (ce qui veux dire tout).

Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
C’est tout à fait juste, j’ai parfois tendance à harceler les gens avec mon amour dégoulinant et fictif.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
Je suis absolument d’accord, c’est à partir de OUI qu’on commence à négocier.

Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Qui est votre meilleur ami : LOUP SARION

Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.om, le 25 juillet 2016.

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