Un manifeste pour l’Autriche-Hongrie et l’empereur Hrabal !

Un manifeste pour l’Autriche-Hongrie et l’empereur Hrabal !

Le flibustier qui n’a pas de drapeau

Une des grandes misères de l’histoire contemporaine est la disparition de l’Autriche-Hongrie. Si l’on en juge par les créateurs de cette zone désormais avilie par les nationalismes provinciaux – ce social des imbéciles comme disait Bebel (pas l’acteur qui, à ma connaissance, aimait les caniches) –, l’urgence absolue est de reconstituer ce bloc littéraire en y intégrant la Pologne. 

Ainsi, vous auriez dans le même espace : Hrabal, Stasiuk, Bela Tarr, Egon Bondy et tous les autres. Franchement, quelle gueule cela aurait, tous ces « fanfarons de la chope » ! Si, pour Karl Kraus, « la culture est une béquille que brandissent les boiteux contre les bien-portants pour montrer qu’ils sont en possession de tous leurs moyens », la littérature austro-hongroise est exactement l’inverse.
Prenons l’œuvre admirable de Bohumil Hrabal, c’est l’histoire d’un cœur sans défense transformé en cœur ironique pour se préserver du « gnomisme, allergie, irritabilité pathologique, simulation de simplicité d’esprit… aversion pour les cravates », etc… Il a tout pour lui : inventeur des formes et du fond, conteur de bastringue, chopineur en chef, drôle, émouvant comme une seringue dans un terrain vague, entrant dans le pied d’un apprenti footballeur.

Il « n’a jamais voulu vivre comme le continuateur de ce qui était déjà ». C’est le contraire d’un journaliste (Kraus disait que « les journaux ont à peu près le même rapport à la vie que la cartomancienne à la métaphysique »), d’un commentateur du réel, d’un créateur de crises imaginaires dont le réel, lui-même inventé, serait le support fantasmé.
Seule la littérature perdure, même si
rien n’existe. Qui se souvient des guerres antiques, des massacres, des affabulations chevaleresques, des bicornes et de la blague à tabac ? Qui ne se rappelle des fabliaux, des romans d’amour, des enchevêtrements romanesques et de La guerre du Péloponnèse ?

Le soi-disant réel n’est probablement qu’une épaulette de la littérature, sans même avoir besoin de convier le point de vue de Dieu si cher au si peu schématique Spinoza. Prenons le dernier livre que j’ai lu du Tchèque qui a servi le roi d’Angleterre, Tendre barbare, livre duquel on ressort avec la joie d’être couvert de bière et de savoir qu’il y a des êtres humains comme le peintre Vladimir Boudnik.
Très loin « des notaires et des notables » dont beaucoup d’écrivains ne sont que les subterfuges biologiques, vous êtes dans le pré carré de l’inadvertance, de la liberté belle comme des « disques abrasifs au carborundum dont la queue étincelante débarrasse les tiges d’acier de leurs vices et défauts », de la crise permanente de la création et des tavernes que les lumières de l’alcool impérial, sous toutes ses formes, rendent rétives à tout « remède » psychologique.

En ce sens, le romanesque de Hrabal, comme toute vraie littérature, contrecarre le récit, la suite des évènements et l’approche « personnalisée et véridique » des personnages. C’est un peu comme parler du rameur à un viking ou de la passion du Christ à un contrebandier des réseaux sociaux.
Au fond, l’histoire n’existe pas : c’est une sorte de jeu de l’oie pour adultes. Il ne reste que les Surcouf dédaignant l’inexistence des Homais. La piraterie de Hrabal ne s’occupe pas des gamineries sociales. Il ne hisse jamais aucun drapeau. Comme chacun sait, le pavillon noir des pirates intimait au navire poursuivi de se rendre sans condition. Dans le cas où le bateau refusait la reddition, les pirates hissaient alors le drapeau rouge qui signifiait « la mort pour tous ».

Hrabal flibustier n’a pas de drapeau : c’est ce qui le rend si inventif, si peu mortifère et si ennemi des littératures « profondes » qui se renvoient l’étendard psychique dans un brouillard de miroirs qui finissent tous par se briser.
Alors oui, vive l’Autriche-Hongrie !

valéry molet

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