Richard Millet, Journal 2000-2003 Tome III et 2011-2019, Tome V

Richard Millet, Journal 2000-2003 Tome III et 2011-2019, Tome V


Défense et illustration

Richard Millet précise l’ampleur d’un tel projet : « De plus en plus tenté par le silence – un silence qui ne soit pas renoncement mais un acte libérateur : Tout se passe comme si mes projets de livres, mes notes, mes carnets m’intéressaient plus que la réalisation d’ouvrages qui ne trouveront plus preneur ». Dans ce corpus monumental, l’auteur ne confond pas le sentiment de sa propre fin (l’angoisse de la mort) et celui de la civilisation qui s’achève.

L’auteur se veut parmi les dépossédés et les déshérités mais avec un destin national et européen pour montrer et ouvrir une voie et affronter seul en réalité la mauvaise époque selon sa méthode : « Retrouver ce que j’ai perdu : non pas mon innocence, mais l’inquiétude qui accompagne l’innocence perdue ». Elle se fait plus exigeante dans ce cinquième tome de ce Journal qui donne à une telle entreprise sa valeur unique, démonstrative, exemplaire .

Richard Millet écrit beaucoup et avance dans sa propre existence sous le regard des lecteurs aux yeux bandés, ignorant la fin. Pour lui, tout est voué à entrer dans l’arborescence de cet énorme Journal même si la fatigue est physique et morale au moment où la situation de la France le dégoûte et la civilisation s’effondre. Ecrire ce journal ce livre devient un moyen de survivre dans un tel contexte.

Le créateur émet des réveils singuliers et ardents pour finir avec une certaine naïveté et un mode d’existence impie car « peut-être me suis-je fait de la vérité une image, alors qu’elle doit être la destruction de toute image », écrit Richard Millet au sein de l’ère du soupçon. Là où son système de vie s’effondre même jusque dans sa conception de la littérature – « ou plutôt, ce que la littérature a fait de moi », ajoute-t-il

Beaucoup lui ont tourné le dos, et les portraits discutables dans la presse officielle, notamment dans Le Monde et dans Le Point, sont parfois abjects. Sachons rendre hommage à sa noblesse et à l’amitié qui ne l’a jamais lâché. Les Provinciales lui donnent donc l’occasion singulière d’être pré-posthume là où, dans ce journal, bien de petits faits et notations fantômes prennent un tout autre sens, aujourd’hui où l’auteur rend hommage à Paul Otchakovsky-Laurens, Denis Tillinac, Bruno Roy, Léo Scheer, Robert Marteau, Yves Martin, Cécile Gilly, Philippe Sollers, Guy Goffette mais aussi à son père et ses deux successives femmes.

jean-paul gavard-perret

Richard Millet, Journal 2000-2003 Tome III et 2011-2019, Tome V, Editions Les Provinciales, 2024, 324 et 608 p. – 28,00 & 35,00 €.

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