Richard Meier, De mémoire jalonnée
Occis morts par mémoire assistée
Après ses « trous » (de mémoire), Richard Meier expérimente des conditions météorologiques extrêmes de mots et d’images. Les uns et les autres saisissent la matière présente sous l’état de gaz ou d’éther. Pour le dire ou le montrer, nulle question de les aborder dans le vague. Tout est conçu par découpe plastiques et coups de hache sur un texte premier (de Jean Carrière) dans son épervier et tant que fer se peut pour pratiquer certains types de dépeçages. L’invisible devient nommable en cet assemblage et développement qui étalonne et jalonne sa propre mémoire . Bref, c’est un auto-engagement des blancs-seings de ceux qu’on ne saurait voir.
Restent ici les fragments rouge sombres d’ailes de l’épervier. Ils sont semblables aux siennes (comme celles des voitures et de leur vitesse), le tout dans le zèle d’un tel désir d’écrire là où les images font carlingues de l’approche du « vent de vie ». Meier y picore l’épervier qui ne dit pas « cot cot » mais « cut cut » (up) et dont il faut regarder son rouge en pièces détachées.
Du texte, il s’agit de fouiner la mémoire de l’existence non sans désordre programmé même si l’auteur se transforme en inconnu et dont nous tournons religieusement les pages à mesure (est-ce faute de notre impudeur ? ) que le lecteur est pris au piège. Sentant le rouge monter aux joues là où les images suggèrent moins de l’ornement ou du décor, qu’un moyen de dépasser la surface de ce qui ne se saisit pas mais se voit d’un doigt de désir ou le regret par nostalgie – qui sait ?
Ecrire ici, c’est mettre en images mentales pour aller au sens, à l’essence des ailes pour ne donner qu’un dièse au « La » du réel là où les mots s’émaillent d’un prisme de polysémies. La jouissance est totale là où le créateur crée des parois siennes par une succession de placages ingénieux et de fragments successifs. Quel progrès des éléments d’une telle science tournée entre philologie et imagerie !
Le signifié prend de l’existence au signifiant. Aux images n’existe aucune ombre portée dans leurs masses. Elles défilent devant nous jusqu’au moment où le texte se défait (aussi vite qu’il avait été jadis imprimé) à coups de hache capables d’occis mortalités. Puis les images reviennent jusqu’à cacher l’ombre que l’on porte en soi et la mémoire et ce, même sur un trottoir éclairé.
jean-paul gavard-perret
Richard Meier, De mémoire jalonnée, Voix Edition, Elne, 2025, deux livrets non paginés.