Raluca Belandry, Daïmon
Elle sait ce que la langue possède de fugitif. L’apprivoiser n’est pas simple. Elle a trouvé un biais habile : en quittant sa langue maternelle roumaine pour le « français versatile, hautain et frivole, si opulent dans ses insinuations et ses possibilités. ». Et ce, après un détour par l’anglais qu’un autre déraciné quitta pour le français car selon lui c’était une langue plus « pauvre » que l’anglais. Ce qui n’est pas sans énerver certains thuriféraires francophones.
Quoique fasciné par Yeats, Rossetti, T.S. Eliot, William Carlos Williams et retrouvant Paris et des études de droit, le français permit à Raluca Belandry de ne « pas faire sous la mère » (encore Beckett) et se glisser « sous des draps renouvelés, jamais lisses, jamais blancs, souvent tourmentés, alternant visages, rires et gémissements, exactement comme des pages qui se tournent à la hâte, car le temps écoulé ne se rattrape pas ». Et d’ajouter « Le gentil spectre enfermé depuis la perte de la mémoire se réveille et parle, enfin ».
La langue foraine permet en conséquence de s’écrire en un déphasage essentiel. Par ce biais un souffle jaillit de l’inconscient pris au piège d’un langage dont à l’origine il ignorait tout. Il se refait une santé par opération – entendons coupure – qui permet de répondre à la question essentielle : « Qu’est-ce qu’un mot ouvre ? ».
Raluca Belandry y répond aussi avec sa revue Daïmon dont vient de paraître le numéro 3. Cette revue, comme l’écrit la directrice, « veut donner à lire la contemporanéité d’une langue et d’une réflexion ancrés dans une ligne littéraire affirmée » et – ajoutons – singulière. A côté d’écrivains confirmés (Jean-Philippe Domecq – auteur ici de deux textes incandescents remarquables d’intelligence -, Denis Moscovici et Pierre Vinclair) la revue met en évidence un jeune auteur : Thibault Ulysse Comte dont l’oeuvre avance comme toute celles (rares) dignes de ce nom : sans anticiper ses mots de sens.
Thibault Ulysse Comte sait que « l’homme a besoin de son ombre, de son démon pour se reconnaître sous sa forme de néant, pour s’évader derrière son nom ». Cela demande de la souplesse dans la fixation. Il s’agit d’envisager ce qui se passe devant et derrière soi afin de comprendre ce qui forme un « je » en son « ça parle » dont les curseurs restent des clauses de confidentialité.
Et qu’importe si l’auteur perd sa face. Ses textes et son inteview le prouvent. Ce qui compte est qu’ils tentent de lever un secret, d’où chez l’auteur un hommage à Belinda Cannone.
Revue Daïmon, n° 3, Paris, 2019, 142 p. – 17,00 €.