Marion Mes­sina, Faux départ

Marion Mes­sina, Faux départ

L’« héau­ton­ti­mo­rou­mé­nos » ou les accords frustrés

Le livre de Marion Mes­sina (son pre­mier roman publié) n’obtiendra sans doute pas la grâce sanc­ti­fiante du Gon­court ou des autres prix en vigueur. Cela ne lui enlève rien. Au contraire. Entre Auré­lie son héroïne gre­no­bloise vague­ment étu­diante (à quoi servent désor­mais les études ?) et Auré­lie et ses amou­reux : un colom­bien puis ses épi­gones, l’amour n’est pas for­cé­ment une fête. D’où l’aspect roman d’apprentissage d’une femme qui est décrite comme ayant « la dou­ceur d’un air­bag en béton et la sua­vité d’un déma­quillant à la soude ». Sa vie pleine ou rêvée a bien du mal à se nouer ainsi. L’héroïne sans le savoir est un « héau­ton­ti­mo­rou­mé­nos » bau­de­lai­rien de son propre corps. Elle a du désir et vou­drait bien croire à l’amour. Elle fait tout pour ça, mais l’autre n’est pas celui qu’on croît, sur­tout lorsqu’on n’est pas sûr de soi-même.
C’est pour­quoi la nar­ra­trice se frappe ici sans haine ou colère « comme un bou­cher ou comme Moïse le rocher » aurait dit l’auteur des Fleurs du Mal. Sa vie res­semble à une pau­piette : au milieu l’espérance autour une souf­france de tous les jours que les pleurs inondent. Pour prendre large, il n’y a que le RER. En guise de vaisseau.

Pour autant, l’auteure ne fait pas dans le mélo. Plu­tôt que de s’apitoyer, elle pré­fère l’ironie vorace. Le livre secoue. Il mord plus qu’il ne vam­pi­rise. Et Marion Mes­sina a le don d’écrire ici le roman d’une géné­ra­tion désen­chan­tée avec la pré­ci­sion du regard et le goût des détails pour les petits riens qui font tout. Beau­coup s’y recon­naî­tront : les femmes – plus par­ti­cu­liè­re­ment de sa géné­ra­tion. Mais pas seule­ment. Et les hommes itou. Même les vieux comme celui qui écrit ces lignes, ému et dépité par ce que l’auteure est capable d’écrire.
De fait, Messina frappe fort et bien. Paris et sa ban­lieue crèvent d’ennui entre deux métros, deux petits bou­lots, deux fast-foods. Et on se dit qu’il ne fait pas bon être jeune aujourd’hui. On le soup­çon­nait déjà. L’auteure nous le confirme . Dès lors, le fameux « sublime for­cé­ment sublime » émis par une Duras sou­dain à côté de ses pompes par ce qui pimen­tait un été où elle n’ennuyait, irait par­fai­te­ment à ce livre déses­pé­ré­ment pro­met­teur et ses vies à l’envers.

jean-paul gavard-perret

Marion Mes­sina,  Faux départ, J’ai lu, 2018, 222 p – 7,10 €.

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