Marion Leleu la nocturne : l’autre regard – entretien avec la photographe

Marion Leleu la nocturne : l’autre regard – entretien avec la photographe

Marion Leleu propose des images sans concession, presque âpres. Et néanmoins avec la poésie profonde due au regard qu’elle porte sur elle et ce qu’elle rencontre au gré du murmure du temps. Certains diront que de telles images manquent de gentillesse. Mais il n’existe là ni mauvaise foi, ni mépris – bien au contraire.
D’où le charme particulier qui opère. Les photos sont viscérales même si nous pourrions les imaginer extraites au forceps. Mais non. L’être est là avec ses ombres et ses lumières en emboitant l’instant. Existe un étrange royaume loin des pensées qui scellent.
Chaque prise est une pose particulière de celle qui possède une âme de troglodyte. Aucun credo ne lui assigne de limites. Tout est authentique chez celle qui à la fois savoure sa solitude tout en voulant prendre une main par ce qu’elle tend au sein d’une syntaxe pulsionnelle et en revendiquant le droit d’être toujours elle-même.

Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Avoir plein de temps pour rêver à mon rythme.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils sont devenus ou restés mon quotidien. Même si je n’en avais pas vraiment mais c’est mon quotidien, les rêves c’est ma vie, tout s’entremêle – rêve et réalité.

A quoi avez-vous renoncé ?
Je n’ai renoncé à rien. Je n’avais et n’ai pas de plan de vie donc je ne renonce à rien. Non non ou – alors sans le savoir.

D’où venez-vous ?
Peu importe le parcours géographique, social et académique. Ce n’est pas intéressant. Je suis Française et je vis en Belgique. Sur le plan métaphysique, je ne sais pas. Disons comme nous tous du cosmos, d’une poussière d’étoile, des petits atomes…

Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
Je n’ai pas reçu, j’ai pris. Dans un milieu porteur quant à la culture et aux valeurs, j’ai pris ce qu’il y avait de magnifique mais aussi de la « merde ». J’ai recyclé le tout pour en faire une force. Mais je n’ai pas reçu mais pris.

Comment définiriez-vous votre approche du selfie ?
Le selfie est une pratique spontanée et non narcissique quoi qu’on dise. Cela vient du coeur comme un message. C’est être présent. Et je ne fais pas de différence entre selfie et les autres techniques ou approches photographiques. Avec le selfie : on ne fait chier personne, il n’y a rien de posé, c’est spontané. Je ne comprends pas que les gens aient des problèmes avec ça. Le selfie est pratique et pas narcissique : pas de technique, pas d’éclairage. Et on efface si c’est pas bien.

Un petit plaisir – quotidien ou non ?
Les petits plaisirs, disons c’est le quotidien. Il y a des grands plaisirs. Disons que c’est pour plus tard. On verra.

Quelle est la première image qui vous interpella ?
Cette question me pose un problème. Je ne me souviens d’aucune image et pas même celle d’un souvenir de quelqu’un.

Et votre première lecture ?
Sans hésiter, les Contes d’Andersen, un grand, grand bonheur de lecture à dix ans. J’ai moins aimé ceux de Perrault et des Grimm. Andersen, j’avais l’impression qu’il avait tout écrit pour moi. Et pour faire simple et un peu brutal: j’adorais ses contes et j’adore ce mec. C’est un conteur fabuleux. L’essentiel de mes rêves vient de là.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’en écoute beaucoup, celles qu’on entend, celles qu’on écoute religieusement et qui peuvent être les mêmes. Je m’y connais peu en classique même si avec mon père mélomane on en écoutait sans cesse. Pour moi, les trois grands sont : David Silvian, Tim Bucley – le papa de Jeff – et John Frusciante des Red Hot Chili Pepper.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
J’aime relire à l’aventure, n’ayant pas de formation artistique, littéraire. J’aime relire la littérature russes : Anna Karénine, Dostoïevski dont « Le joueur ». Ces livres, je ne m’en lasse pas et je les redécouvre chaque fois différemment.

Quel film vous fait pleurer ?
Intérieurement : « Les 400 Coups » de Truffaut, un film magnifique. Mon enfance ne fut pas du tout malheureuse mais en moi ce film fait écho.

Qui voyez-vous dans votre miroir ?
Moi. Sans complaisance. Et très critique envers moi-même, avec ma tête des bons et mauvais jours. Je ne scrute pas, je vois.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A personne. Si j’ai à écrire, j’écris même si mon écriture est illisible – c’est la seule peur.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
L’Himalaya et Katmandou, The Gates of Shambhala, le pays du bonheur paisible (sait on jamais ?). Rome peut-être. Almaty – ce nom est quasi mythique et j’aime sa sonorité.

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Je déteste les cadeaux. Mais une simple fleur choisie me comblerait. Vraiment choisie. Tant de choses sont données en un geste automatique sans le moindre sens et valeur.

Que défendez-vous ?
Je défends la liberté même si le mot est galvaudé. Mais celle des êtres eux-mêmes, en profondeur avec le son qu’ils émettent, car chaque personne est amenée à vibrer.

Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
Lacan, j’ai du mal comme avec les psychiatres. Sauf C.-G. Jung car il parle de l’âme. Mais la phrase de Lacan n’est pas si mal. Elle bouscule les codes et les statu quo. Mais l’amour doit rester beau.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
C’est la réponse inversée de ma mère : elle me disait toujours non. Donc, cette phrase m’inspire le souvenir de ma mère.

Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
De fait, j’ai commencé l’entretien en répondant à cette question. Et la voici : êtes-vous du soir ou du matin ? Moi, je suis entre les deux ou plutôt entre le soir et le matin, donc je suis de la nuit.

Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 1er juin 2022.

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