Les enivrés (Ivan Viripaev / Clément Poirée)
De l’ivresse à la gueule de bois
Des individus interlopes s’invectivent et interpellent les spectateurs dès le hall, l’aire de restauration. Ils accompagnent le public dans la salle où ils s’adonnent à des blagues forcées, éculées. A la fin de cette introduction un peu longue, les personnages s’installent sur un plateau qui tourne ; sa rotation produit une déformation douce ou une démultiplication de la perception. De là se dessine une randonnée ivre, au cours de laquelle différentes scènes présentent des personnes en proie à leurs joies intimes, à leurs angoisses foncières. Des intermèdes métaphysiques interrogent le déterminisme, la providence, la prudence individuelle. La ronde est peu diversifiée : des êtres avinés se jettent des répliques acerbes à tonalité existentielle.
Au lieu d’exprimer, de symboliser, la mise en scène semble s’échiner à montrer, surlignant les énoncés du texte sans les mettre en valeur. Ainsi des répétitions des mêmes répliques : censées caractériser l’ébriété avancée, prompte à user d’une parole invocatoire, elles sont restituées de façon monotone, produisant une lassitude qui interdit de pénétrer l’intention de l’auteur ou du metteur en scène. On peut toutefois distinguer le ton des intermèdes, vifs, suggestifs, contrastés et celui des scènes, longues, redondantes, souvent pesantes.
Certes, Clément Poirée a cherché à mettre à distance ces situations ubuesques où l’alcool donne à voir ses effets. Mais cette opération semble gâcher un conte poétique en le livrant à ses outrances et à ses radotages. Le texte trouve bien une pépite dans la fange : l’amour fragile des êtres humains est érigé en solide colonnade de nos existences. Mais l’affirmation grandiloquente de son omnipotence, de sa pleine réalité conduit le propos à la saturation et à l’outrance, faisant vite passer les spectateurs de l’ivresse à la gueule de bois.
christophe giolito & manon pouliot
Les enivrés
de Ivan Viripaev
mise en scène : Clément Poirée
Photo Helene-Bozzi
avec John Arnold, Aurélia Arto, Camille Bernon, Bruno Blairet, Camille Cobbi, Thibault Lacroix, Matthieu Marie, Mélanie Menu
Scénographie Erwan Creff ; lumières Elsa Revol, assistée de Sébastien Marc ; costumes Hanna Sjödin, assistée de Camille Lamy ; musiques Stéphanie Gibert ; maquillages Pauline Bry ; peinture décor Caroline Aouin ; collaboration artistique Margaux Eskenazi ; régie générale Farid Laroussi.
Au Théâtre de la Tempête – Cartoucherie – Rte du Champ-de-Manœuvre 75012 Paris
Du 14 Septembre au 21 Octobre 2018 – du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h
Durée 2h20 salle Serreau Informations et réservations www.la-tempete.fr Tél. 01 43 28 36 36
Production Théâtre de la Tempête, subventionné par le ministère de la Culture, la Ville de Paris et la Région Île-de-France.
Les Enivrés a remporté le Prix Domaine Etranger et le Prix de la Traduction aux Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre 2014.
Titulaire des droits : henschel SCHAUSPIEL Theaterverlag Berlin GmbH
Agent de l’auteur pour l’espace francophone : Gilles Morel.