Le Temps et la Chambre (Botho Strauss / Michel Vinaver / Alain Françon)
L’inachevé, le fortuit sont ici ce qui s’accomplit
C’est sur un rythme tribal qui s’estompe rapidement que s’éteignent les lumières et que se découvre le décor auguste, d’une plastique affirmée, qui semble cristalliser la disposition d’un espace clos polarisé par ses ouvertures : les grandes fenêtres sur la rue, les autres pièces, au fond, la porte, d’où les arguments surgiront fortuitement. Entre deux personnages flegmatiques et imposants, comme ancrés dans leur fauteuil, s’instaure une absence de dialogue, des remarques qui constituent une longue description nourrie de détails paraissant infimes. Les deux compagnons jouent le rôle de référents : porte-parole d’un cynisme, d’un stoïcisme et d’un scepticisme censés constituer le climat de l’époque, ils permettent aux autres protagonistes d’inscrire en miroir les appétences. La pièce consiste en l’intervention impromptue de personnages dont l’histoire se présente comme fragmentaire, sinon intermittente.
Chacun des personnages dessine une tendance sans personnalité ; les comédiens ont tous soin de l’incarner sans jamais tomber dans la typologie. Certes une femme, est-ce la même, joue le rôle de révélateur des velléités, de polarisateur des valences ; elle qui est toute transparente et sanctifie la temporalité donne aux êtres indéterminés qui se côtoient là occasion de s’appréhender dans la relation. Un théâtre de l’éphémère et de la contingence, qui exprime avec simplicité et efficace l’imminence et la contingence : les intervenants, risquant toujours d’être amenés à leur point de rupture, sont en charge d’exprimer la ténuité de la contingence. Le propos est délibérément décousu, comme si les effigies présentées ne suivaient que le fil d’une pensée capricieuse, loin d’être illogique, mais suivant un registre sinueux, subtilement animé d’inclinations qui procèdent d’une syntaxe rationnelle autant qu’émotionnelle.
Alain Françon élabore un tableau baroque à partir d’images volontiers figées, installant les personnages dans des positions dignes d’une iconologie païenne. Tout se joue dans une subtile représentativité : une solennelle banalité, une énergie sans projet, des exhibitions sans dévoilement. Voilà un matériau philosophique, qui témoigne avec force de la conjonction irrémédiable des perspectives : chacune, constitutivement affectée de sa partialité, ne cesse pourtant pas de s’en remettre à une vaine adresse. L’ancien directeur de la Colline, réunissant une troupe de haute volée, révèle une nouvelle fois sa maîtrise des textes contemporains les plus exigeants. Un seul instant hétérogène frôle le ridicule d’une révélation. L’engagement distant des acteurs, l’hyperréalisme du décor, la tension sans enjeu du propos réussissent à capter l’attention pour la laisser autant que faire se peut définitivement en suspens : l’inachevé, le fortuit sont ici ce qui s’accomplit.
christophe giolito
Le Temps et la Chambre
de Botho Strauss
texte français Michel Vinaver
mise en scène Alain Françon
avec Antoine Mathieu, Charlie Nelson, Gilles Privat, Aurélie Reinhorn, Georgia Scalliet (de la comédie française), Renaud Triffault, Dominique Valadié, Jacques Weber, Wladimir Yordanoff, et la voix d’Anouk Grinberg.
Assistant à la mise en scène Nicolas Doutey ; dramaturgie David Tuaillon ; décor Jacques Gabel ; lumières Joël Hourbeigt ; costumes Marie La Rocca ; musique Marie-Jeanne Séréro ; son Léonard Françon ; coiffure maquillage Pierre Duchemin ; directrice de production Anne Cotterlaz.
La Colline, rue Malte-Brun, du 6 janvier au 3 février 2017
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
Audio description mardi 17 janvier et dimanche 22 janvier 2017
Grand Théâtre, durée 1h40
Production
coproduction Théâtre des nuages de neige (producteur délégué) Théâtre National de Strasbourg, La Colline – théâtre national, avec le soutien de l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne-DIESE -Auvergne Rhône-Alpes
Le Théâtre des nuages de neige est soutenu par la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture et de la Communication
Édition : L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté.
Le spectacle a été créé le 3 novembre 2016 au Théâtre National de Strasbourg.
Tournée : du 3 novembre au 18 novembre 2106 au TNS à Strasbourg ; du 22 au 26 novembre 2016 au TNP à Villeurbanne ; – les 1 et 2 décembre 2016 à l’Espace Malraux Scène nationale de Chambéry et de la Savoie ; les 7, 8 et 9 décembre 2016 à Bonlieu Scène nationale de Annecy ; les 7 et 8 février 2017 à la Maison de la Culture d’Amiens ; du 14 au 17 février 2017 à la MC2 de Grenoble ; les 21 et 22 février 2017 au Théâtre Sortie Ouest – Béziers ; du 28 février au 12 mars 2017 au Théâtre du Nord CDN de Lille ; les 19, 20 et 21 mai 2017 Théâtre en mai à Dijon
