Le Tartuffe ou l’Hypocrite (Molière / Ivo Van Hove)

Le Tartuffe ou l’Hypocrite (Molière / Ivo Van Hove)

Sombre comédie  

Après Les Damnées et Électre/Oreste, Ivo van Hove retrouve la Troupe de la Comédie Française pour s’emparer, avec brio, de la version originelle du Tartuffe, censurée en 1664, remise au goût du jour grâce aux travaux de Georges Forestier et d’Isabelle Grellet.  

Le décor est sombre. La lumière des lustres ne suffit pas à redorer des miroirs qui démultiplient l’ombre des visages. La passerelle surplombant la scène et permettant aux comédiens de gagner les coulisses est menaçante. Cette pénombre résume à elle seule la scénographie de Jan Versweyveld et la mise en scène d’Ivo van Hove qui donne à voir une représentation angoissante de la pièce de Molière.
Dès l’entrée d’Oronte (joué par Denis Podalydès), on comprend que le chaos règne dans la maison de ce veuf fortuné qui a recueilli un mendiant, Tartuffe, dont la dévotion absolue pour la foi chrétienne illumine le maître de maison qui en fait son directeur de conscience. Ni les mises en garde de son fils Damis, ni celles de sa servante (jouée par Dominique Blanc) ne parviennent à lui faire voir les mauvaises intentions de l’hypocrite qui a pris possession de la maison et s’est mis à séduire Elmire, la nouvelle femme d’Oronte. L’aveuglement du maître de maison est absolu, le déni total.

Le chaos règne donc dans une famille désormais dysfonctionnelle, dirigée par un père despotique, lui-même sous l’emprise du faux dévot. Et Ivo van Hove de dire, dans une interview donnée à Laurent Muhleisen : « (…) tout présage d’une bataille que vont se livrer conservateurs et progressistes », d’où un espace délimité au milieu de la scène par un rectangle blanc, sorte de ring de la parole où fusent les arguments.
La violence de la parole est amplifiée par le travail musical du compositeur Alexandre Desplat : la musique rythme la quasi-totalité du déroulement de la pièce, ce qui la plonge dans une atmosphère pesante. C’est que la version originelle, en trois actes, se révèle d’une violence et d’une férocité plus appuyées que celle que nous connaissons en cinq actes.

Le conflit entre le père et le fils, roué de coups dans une scène terrifiante, n’en est que plus probant, dramatique. Oronte renie son fils qui avait pourtant surpris Tartuffe et Elmire et venait les dénoncer. L’attitude d’Elmire est ambiguë : si elle met en place un stratagème pour faire tomber le masque de l’imposteur, elle n’en est pas moins véritablement séduite par lui au début de la pièce.
C’est un des multiples décalages opérés par le travail incisif d’Ivo van Hove. De même, le visage de ce Tartuffe est méconnaissable. Christophe Montenez, dans le rôle de celui-ci, fait preuve d’une présence scénique glaçante. Il est jeune, sa gestuelle est reptilienne, son phrasé a des accents inquiétants. Il se métamorphose. La première scène de flagellation donne le ton. La machine infernale est lancée : il écarte le fils, convoite la femme, devient héritier de la fortune du maître de maison. Son désir de posséder Elmire est obsédant, obscène. C’est ce qui le perd. Mais cette version en trois actes ne connaît pas le happy ending de l’acte V de la version connue et de son deus ex machina… In extremis, le Tartuffe ressurgit, dans un dernier éclat comique.

Pour le 400ème anniversaire de la naissance de Molière et à la demande d’Éric Ruf, le metteur en scène belge Ivo Van Hove réussit, en montant un classique du répertoire français, une véritable démonstration de force.

clara cossutta

Le Tartuffe ou l’Hypocrite,

de Molière

Mise en scène Ivo Van Hove

©Jan Versweyveld

Avec Claude Mathieu, Denis Podalydès, Loïc Corbery, Christophe Montenez, Dominique Blanc, Julien Frison et Marina Hands.

Comédie en trois actes et en vers. Version interdite de 1664 restituée par Georges Forestier, avec la complicité d’Isabelle Grellet.

 

Dramaturgie : Koen Tachelet ; scénographie et lumières : Jan Versweyveld ; costumes : An D’Huys ; musique originale : Alexandre Desplat ; collaboration musicale : Solrey ; son : Pierre Routin ; vidéo : Renaud Rubiano ; assistanat à la mise en scène : Laurent Delvert ; assistanat à la scénographie : Jordan Vincent ; assistanat aux lumières : François Thouret.

 

Du 15 janvier au 24 avril à la Comédie Française, salle Richelieu.

1 Place Colette, 75001 Paris

Durée 1h45 sans entracte.

Laisser un commentaire