Jitish Kallat : vitalité de l’art indien ou le combat contre l’ombre

Jitish Kallat : vitalité de l’art indien ou le combat contre l’ombre

Pour son exposition à la galerie Templon, Jitish Kallat se concentre sur une série d’expériences quotidiennes telles que le sommeil, le repas ou les rituels du voyage. En jouant de l’altération des formes et des dimensions, il offre des propositions perceptives décalées, des associations métaphoriques teintées d’une joyeuse ambigüité. Né à Mumbai en 1974, l’artiste incarne le renouveau de l’art contemporain indien. Son œuvre a déjà été exposée internationalement. Notamment à la Tate Modern de Londres, au Martin Gropius Bau à Berlin, au Gemeente Museum de La Hague comme au Astrup Fearnley Museum of Modern Art à Oslo ou encore au Musée Tinguely de Bâle et au Ian Potter Museum of Art de Melbourne. La galerie Templon propose la première exposition personnelle consacrée à l’artiste en France.
Un tel travail est engagé. L’artiste cherche toujours à anticiper ou exacerber le « mal ». Et ce de diverses manières. « Covering Letter » – une des deux expositions de Templon – met en scène, via la vidéo, une lettre de Gandhi à Hitler. Dans l’autre, le microcosme le plus humble – sous forme de pain indien – rejoint le macrocosme : l’élément quotidien apparaît comme un cycle lunaire. Jamais démonstrative, l’œuvre reste sidérante. Elle ne se limite pas à de l’activisme de propagande mais est résolument poétique : des voitures et autres objets sont façonnés de squelettes ironiques et repoussants, des modèles réduits humains deviennent les sujets d’une cérémonie autant secrète que banale (passage d’un check-point).

Dans ces approches multimédias, Jitish Kallat redonne tant aux images qu’aux mots – quelle que soit leur tribut – une valeur d’indépendance face à la manipulation de la médiasphère. Il prouve la persistance de la spiritualité (l’inverse de religieux) au sein d’un matérialisme qui le détruit. Tout bascule du familier vers l’énigme par des suites de décalages et d’associations signifiantes et enjouées même lorsque les brumes entourent certaines œuvres. Toutefois, la lumière de l’œuvre ne peut en être offusquée. La tyrannie de l’ombre semble irrévocable : elle est pourtant déracinée.
L’artiste indien fait le ménage, trie, casse, met au rencard les apparences pour toucher à, sinon une transparence, du moins une nudité plastique. Il prouve que le plasticien n’est jamais de trop, qu’il garde un rôle de médiateur face à tout ce qui est donné à voir mais qui a fonction de leurre. Jitish Kallat s’élève contre la confusion des images et contre leur mythe de fusion. La brutalité et la nudité de ses œuvres sont donc indispensables. Leur créateur ne veut pas faire triompher « l’idée » mais l’image : pour cela, il emprisonne la violence la plus absolue dans chaque centimètre carré de ses œuvres. Il sait, en outre, que l’immédiateté comme l’absence de mémoire sont des impostures.
L’art profanateur du plasticien indien représente une réponse à tous les académismes, à tous les modernismes – souvent simples duplication des premier – de la pensée. En multipliant des amalgames de matières et de techniques, Jitish Kallat permet de comprendre un univers à la fois de plus en plus cruel et virtuel. L’art n’est donc pas en panne : il avance pour atteindre la possibilité de dire le nom métisse de l’étrange d’une chair exilée. S’il est contemporain des dégâts inhérents à l’ère postmoderne et mondialisé, une telle optique ne passe pas par le filtre informatique (seule technique que l’artiste élimine), mais à travers un philtre amoureux capable de lutter contre les standardisations non seulement des produits mais d’une pensée et d’un affect fabriqués en série.

jean-paul gavard-perret

 Jitish Kallat, “The Hour of the Day of the Month of the Season” et “Covering Letter”, Galerie Daniel Templon, Paris, 3ème, 7 septembre – 2 novembre 2013

 

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