Ils nous ont oubliés (Thomas Bernhard / Séverine Chavrier)

Ils nous ont oubliés (Thomas Bernhard / Séverine Chavrier)

© Christophe Raynaud de Lage

Le pilonnement de la réflexion

Des lumières et des cris d’oiseaux se répandent dans la nuit, installant une atmosphère sauvage et lugubre. Il y a d’abord la description d’un fait de meurtre, restitué froidement, dans ses détails.
On assiste alors à la découverte des corps par des explorateurs non identifiés, peut-être des chasseurs, qui permettent de planter le décor d’une ancienne plâtrière élue pour domicile par un héritier en charge de sa femme handicapée, habité par un projet de traité scientifique sur l’ouïe.
Isolé, il peut utiliser sa compagne dépendante comme sujet de ses interminables expériences d’audition. Le plateau présente plusieurs espaces scéniques, le lieu de vie, voire de station, de la femme au fauteuil roulant, un sous-sol exigu dans lequel tente de se replier le prétendu écrivain, un espace sylvestre dans lequel un mirador donne un peu de relief à l’ensemble. Dans la pénombre, un musicien percussionniste accompagne continument le propos durant le spectacle.

A l’arrière-plan, la forêt, comme aussi souvent en avant du plateau, la représentation étant doublée d’une projection en surimpression ou bien en juxtaposition, si bien que la scène est difractée par les images en même temps que réfractée par le son qui constitue comme un battement permanent qui pourrait être celui de la réflexion qui ne cesse d’obérer les démarches en même temps qu’elle les conduit.

Une caricature caustique des frasques de la création littéraire, une descente aux enfers impitoyable, exhibant avec crudité les étaux de la quotidienneté sclérosée. Le personnage principal incarne l’échec : voulant s’isoler, il se retrouve persécuté ; cherchant à créer, il apparaît serviteur de son épouse ; attiré par l’écriture, il a du mal à tenir un stylo. Un spectacle monolithique, hermétique, aride, frénétique, un peu épileptique. A terme, on assite à une résolution intempestive, comme pour insuffler un peu de vie à une représentation désespérée.

Séverine Chevrier défait la logique dramatique grâce à un rythme qui met la narration en échec en présentant un ressassement incessant dans cet espace de réclusion et de claustration. Il s’agit moins de résoudre l’énigme, au sens de reconstituer le crime annoncé, que d’interroger le passage du temps comme une perte inexorable, à un rythme démultiplié par les surimpressions d’images. Dans le temps long et lourd de la permanence et de la rémanence, s’inscrivent des moments d’urgence et d’accélération, constituant comme une rumination entrecoupée d’incises.
Ainsi, par la dilatation indéfinie du temps de l’action, un rythme vient structurer la durée. Le temps désœuvré (ou saturé d’occupations improductives) n’est pas vectorisé. Du quotidien étouffant enfermé découlent des moments de rupture via des formes de crises histrioniques. L’univers sonore est semblable à une cloche où les sons résonnent, se répercutent : le tempo entraîne l’enfermement. Corrélativement, la répétition de ce présent continué développe un pouvoir d’envoûtement. Comme si on se heurtait aux parois du temps, on en vient à approcher l’absence d’issue, sinon la destruction meurtrière.

christophe giolito & clara cossutta 

 

I l s   n o u s   o n t   o u b l i é s

basé sur le roman La Plâtrière de Thomas Bernhard
adaptation et mise en scène Séverine Chavrier

avec Aurélia Arto, Adèle Bobo-Joulin, Laurent Papot, Marijke Pinoy et le musicien Florian Satche. 

Scénographie Louise Sari ; régie plateau Armelle Lopez ; vidéo Quentin Vigier ; régie vidéo Typhaine Steiner ; son Simon d’Anselme de Puisaye et Séverine Chavrier ; lumières Germain Fourvel ; costumes Andrea Matweber ; éducation des oiseaux Tristan Plot ; accessoires Rodolphe Noret ; assistanat à la scénographie Amandine Riffaud ; assistanat à la mise en scène Ferdinand Flame ; construction du décor Julien Fleureau, Olivier Berthel ; conception de la forêt Hervé Mayon – La Licorne Verte ; intervention Ircam Augustin Muller.

A la Colline, 15 Rue Malte-Brun 75020 Paris du 16 janvier au 10 février 2024 au Grand théâtre, du mardi au samedi à 19h30 et le dimanche à 15h30, relâche dimanche 21 janvier, durée 3h50, deux entractes inclus. 01 44 62 52 52. https://www.colline.fr/spectacles/ils-nous-ont-oublies

Production : à la création CDN Orléans / Centre-Val de Loire ; reprise de production Comédie de Genève ; coproduction Théâtre de Liège – Tax Shelter, Théâtre national de StrasbourgThéâtredelaCité – centre dramatique national Toulouse OccitanieTandem Scène nationale Arras-DouaiTeatro nacional de Catalunya – Barcelone. Avec l’aide exceptionnelle de la région Centre-Val de Loire.

Remerciements Rachel de Dardel, Marion Stenton, Amandine Riffaud, Marie Fortuit, Antoine Girard, Pascal Frey et Romuald Liteau Lego.

Partenaires Odéon-Théâtre de l’Europe, JTN – Jeune Théâtre National − Paris, ENSATT − École nationale supérieure des arts et techniques du théatre − Lyon, Ircam − Institut de recherche et de coordination acoustique / musique.

Le spectacle a été créé le 12 mars 2022 au Teatro nacional de Catalunya – Barcelone.

 

Édition : La Plâtrière de Thomas Bernhard, traduit de l’allemand par Louise Servicen, est publié aux éditions Gallimard. Thomas Bernhard est représenté par L’Arche, Agence théâtrale.

En tournée : du 12 au 14 septembre 2023 au Centre dramatique national Orléans / Centre-Val de Loire ; du 7 au 13 octobre 2023 au TNP – Théâtre National Populaire, Villeurbanne ; du 30 novembre au 2 décembre 2023 à la Comédie de Genève.

 

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