Hubert Renard, Sans Titre
Un narrateur bien encombrant ou le tableau qui parle
A la peinture la littérature peut s’offrir comme terre de mémoire. Ou plutôt auto-mémoire puisque dans Sans titre le tableau parle. Un grand chef-d’œuvre du XXIème siècle se confesse à un visiteur pour redresser ce qu’on raconte à son propos. Cet objet « supérieur » va ainsi se « réfléchir », de sa naissance à son accrochage. Il a beau affirmer au visiteur « Laissez moi vous dire que je suis comme vous infiniment surpris et totalement incapable d’expliquer ce phénomène qui nous lie », à travers lui l’auteur (artiste lui-même) met à plat et en évidence tout le système de l’art. Il approche aussi le mystère de la peinture. La « géométrie » du livre en devient l’espace.
Sans titre propose à Hubert Renard un temps de retrait, d’interruption. Il ne se limite pas au désœuvrement mais – à l’inverse – à l’approfondissement de la peinture. Et ce, de la manière la plus inattendue. L’auteur par sa fiction ne quitte pas à la question de l’art : il la poursuit. Une telle « biopic» ne dégénère donc jamais dans un triste bavardage autobiographique. Certes, écrire la fiction d’une fiction (l’œuvre d’art) ne peut sans doute pas apporter une réponse convaincante à son énigme mais peut lui procurer pour le moins une série de justifications provocantes, complexes.
Le tableau qui parle permet à l’écrivain-artiste une manière de comprendre les hautes et basses taches que réclame le travail artistique. L’écrire revient à dégager l’image de son enveloppe, à approfondir sa figure pour tenter d’en faire apparaître une autre. Issue autant du dehors que du dedans d’un chef-d’œuvre soudain parleur, l’écriture n’est pas un reflet : elle éclaire des forces confuses hors dogmes, hors certitudes. Ce n’est jamais un déploiement d’idées sur. C’est un exercice d’ignorance.
Le roman transpose, défait l’image pour que surgisse ce que – même en plus belle fille du monde – elle ne peut montrer. La fiction se charge de ses cris muets, de sa rigueur, de sa sincérité et aussi de sa rouerie. Les mots deviennent son abréviation ou son prolongement incantatoire. Ils témoignent de son « ex carnation » plus que son incarnation.
Sans titre détruit et reconstruit par sa fiction celle de l’art. Un art souvent altéré par ceux qui tournent autour (sans hélas ! tomber dedans) et s’en font les gardiens. Cet exil de la langue picturale par une autre langue provoque donc un nécessaire travail de reformation et la déformation de l’image. Soudain, face à la morale qui est chose de l’esprit, une immense place est laissée aux faiblesses du « corps » de la peinture, à ses égarements que cette morale ne peut inclure. La force d’âme de l’œuvre adulée est donc révisée – mais pas forcément à la baisse.
Ce livre restera un objet de fiction ovniesque. Le fait de rendre parlant un objet muet et privé quelque chose de publique a de terribles répercussions sur le monde préfabriqué. Il met à jour une partie où se télescopent d’étranges joueurs. Tout l’ establishment artistique en prend pour son grade même si Hubert Renard – et c’est ce qui fait sa force – ne cherche pas à régler des comptes. La chair de la peinture est mise à nu pour son odeur en dépit des pare-fumets dont on l’entoure pour des cérémonies parfois discutables.
N.B. de Hubert Renard : Residency – Hubert Renard at the Kojima Foundation, Editions Kojima Fondation, Tokyo et Paris. , 2013, 80 p. – 28,95 €, . (En 2012, la fondation Kojima a reçu en résidence Hubert Renard. Venu sans projet préétabli, sans idées préconçues, sans objectif déclaré, il a vagabondé dans Tokyo, Kyoto et le Kanto, où il a produit une série d’installations, d’actions et d’interventions que l’ouvrage restitue).
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jean-paul gavard-perret
Hubert Renard, Sans Titre, Art&Fiction, coll. « Re : Pacific », Lausanne, 2013, 184 p. – 30,00 euros.