Fédor Dostoïevski, Nétotchka Nezvanova

Fédor Dostoïevski, Nétotchka Nezvanova

Treizième pierre du vaste édifice qu’a entrepris de bâtir Julien Védrenne à la mémoire du grand écrivain russe

Pour une présentation de l’ensemble du « dossier Dostoïevski » dont cet article constitue le treizième volet, lire notre article d’introduction, où figure la liste des oeuvres chroniquées.

Nétotchka Nezvanova (Nétotchka Nezvanova en russe) est le treizième des récits de Fédor Dostoïevski écrit entre 1847 et 1849. C’est un roman de deux cent quatre-vingt-onze pages, à la couverture illustrée d’un détail des Femmes de sport (1883-1885), une peinture de l’artiste anglais James Tissot (1836-1902).

Lhistoire de ce roman est atypique et marque un tournant dans l’œuvre de Dostoïevski. Entamé en 1847, Nétotchka Nezvanova se voulait la première grande fresque romanesque de l’auteur. Les événements en ont décidé autrement. En 1849, Dostoïevski est arrêté pour complot politique. Ce roman est, par conséquent, un temps interrompu, puis repris en 1860. Onze années se sont écoulées. L’auteur n’arrive pas à se remotiver sur un sujet qui lui paraît alors fort éloigné de ses nouvelles préoccupations. Il l’abandonne définitivement en 1866 lorsque son héroïne atteint l’âge adulte.

Nétotchka Nezvanova n’a pas connu son père. Sa mère se remarie alors avec Efimov, un violoniste facile mais talentueux, alcoolique, dont elle est amoureuse. Efimov, profondément cynique, se moque éperdument de son épouse. Il se rapproche peu à peu de Nétotchka Nezvanova. Celle-ci lui voue un culte sans fin et veut fuir avec celui au charme de qui elle a succombé. Efimov finit par mourir coupable de sa folie après le décès de son épouse. La petite Nétotchka, dans son malheur, est recueillie par le Prince B., bienfaiteur de son beau-père. Elle va vivre alors une relation passionnée avec Katia, sa fille, jusqu’à ce qu’elles se trouvent séparées.

Cest un nouvel exil pour Nétotchka. La jeune orpheline est hébergée par Alexandra Mikhaïlovna. Elle va apprendre à connaître peu à peu les tréfonds de son âme et de celle de sa maîtresse. Elle va revivre un drame passionnel qui s’est joué des années auparavant et qui n’en finit pas de remonter à la surface. Son entrée dans l’âge adulte, au gré d’expéditions cachées dans la bibliothèque familiale et d’explorations de l’œuvre de Walter Scott, s’annonce périlleuse. Nétotchka se rebelle contre son hôte Piotr Alexandrovitch alors qu’Alexandra Mikhaïlovna, sûre de l’amour que porte sa jeune protégée à son mari, se meurt de jalousie.

Le récit (inachevé) finit brutalement. On ne peut qu’être déçu. C’est ainsi. Dostoïevski, dans ce roman, atteint son apogée dans la dramatisation des sentiments en univers clos. La troisième partie du roman, chez Alexandra Mikhaïlovna, est un modèle du genre. La complexité des liens qui se font et se défont rend la lecture insupportable.

Reste à souligner le côté provocateur de Dostoïevski. Dans les trois parties que comporte Nétotchka Nezvanova, en effet, on a une relation incestueuse à tendance pédophile entre Nétotchka et son beau-père (même si l’on reste dans le suggéré et le non-accompli), une relation entre les deux adolescentes qui se couvrent de baisers lors de leurs rencontres nocturnes dans le lit de l’une (mais dont le caractère homosexuel est simplement évoqué) et enfin une relation adultérine à quadruple racine entre Nétotchka, Alexandra, Piotr et un soupirant inconnu du lecteur (autant de relations réelles ou irréelles mais qui n’en sont pas moins évoquées).

Ces thèmes avaient tout pour susciter l’ire d’une nation qui, à cette époque, vivait entre non-dits et tabous. Il est dommage que Dostoïevski ne soit pas allé au bout de son sujet. Qu’aurait fait une Nétotchka adulte ? Cela restera un éternel mystère…

j. vedrenne

   
 

Fédor Dostoïevski, Nétotchka Nezvanova (Traduction d’André Markowicz), Actes Sud coll. « Babel » (vol. n° 407), 2000, 291 p. – 8,00 €.

 
     

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