Dominique Neuforge la discrète : entretien avec l’artiste
Dominique Neuforge ne crée pas un monde forcément rêvé mais ses images luttent contre les appels du néant. L’hymne à la joie s’y fait discret là où une vision métaphysique empreinte de nostalgie est perceptible. De telles créations remontent peut-être à la nuit des temps depuis les terres telluriques et habitées de Bretagne. La créatrice s’en imprègne pour inventer ses propres traces.
Le pays devient celui où tout est permis mais Dominique Neuforge n’en abuse pas. Elle est trop discrète et modeste pour cela. Elle fait partie de ces créateurs et créatrices trop rares qui ne cultivent pas leur ego. Dans son cas, ce repli est préjudiciable. Ses images devraient connaître une plus large reconnaissance qui n’aurait rien de coupable.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’été, la lumière du jour et toute l’année, l’envie de commencer une nouvelle journée avec toutes ses inconnues et aussi ses habitudes.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je n’ai pas particulièrement concrétisé des rêves d’enfant, mais je pense qu’ils se sont prolongés dans ma façon d’aborder le monde, dans le développement de ma sensibilité et la poursuite de mes aspirations.
A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé dans la mesure du possible à me laisser conditionner par ce qui entrave mon épanouissement personnel et ma relation avec les autres.
D’où venez-vous ?
De la rencontre fortuite et de l’union d’un père et d’une mère qui souhaitaient ma naissance.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
La franchise, la volonté, le goût de l’observation, l’empathie, le respect des autres et de moi-même, le sens de l’humilité et le plaisir d’apprendre.
Un petit plaisir – quotidien ou non ?
Partager des moments agréables, avoir une conversation intéressante avec quelqu’un.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
En fait, ce qui me distingue de chaque artiste l’un par rapport à l’autre, ce sont mes expériences, ma méthode de travail , l’objet de mes recherches .
Comment définiriez-vous votre approche de l’image ?
De manière très synthétique, je définis l’approche de l’image, de la peinture comme des moyens de m’ouvrir à la réalité, d’objectiver ma pensée, mon moi profond mais avec un langage moins net que celui du poète ou de l’écrivain. L’image permet la communication et est un même temps un refuge face au monde. Créer une image est pour moi, donner à voir un fragment issu d’une libération d’énergie accumulée par l’intériorisation de ma perception du monde résultant de ma vision, mes sensations, mes réflexions.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Le passage de la lumière du soleil à travers le vitrail ornant une porte à l’intérieur d’une vieille maison.
Et votre première lecture ?
« Alice détective » de Caroline Quine.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Des musiques du répertoire classique et des musiques bretonnes, des chansons françaises.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Le renard à l’anneau d’or » de Nelly Kristink, roman qui dépeint avec justesse l’atmosphère de la région où je vis et qui touche en même temps à l’universel.
Quel film vous fait pleurer ?
Si je tente toujours de dominer mes émotions, je pense que la dernière séquence du film « Sous le sable » m’a profondément émue car l’actrice (Charlotte Rampling) y interprète de façon sublime le drame de la prise de conscience de la perte d’un être cher et de la solitude qui s’ensuit.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
L’image de la personne que je connais le mieux.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je ne crains pas d’écrire à quelque personne que ce soit à condition qu’il y ait une bonne raison de le faire.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
L’endroit où je vis et la Bretagne, lieux de ressourcement qui me procurent le sentiment de mes limites en même temps que celui de l’ « infinitude ».
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Pour les écrivains, je me sens proche de mon époux qui peut répondre aux questions que je me pose relativement à la poésie, Annie Ernaux, Marina Tsvetaeva, Henry Maldiney, Kenneth Withe… Pour les artistes , je me sens proche de Jean Bazaine, Nicolas de Staël, Raoul Ubac, Geneviève Asse…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
La surprise d’un compliment.
Que défendez-vous ?
Je défends le droit de vivre et de mourir dans la dignité pour toutes formes de vie, l’aide aux personnes et aux animaux en détresse, la protection de la nature, enfin ce qu’il en reste.
Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas ˆ quelqu’un qui n’en veut pas »?
Cette phrase m’inspire la tentative de l’impossible, incompatible avec ma conception de l’amour.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
Cette phrase me fait penser à une rupture dans la communication suite à un défaut de mémoire ou à de l’indifférence par rapport à la question posée où par rapport à la personne qui pose la question.
Quelle question ai-je oubliée de vous poser ?
Comment continuer à s’intéresser à l’art dans le monde plus qu’inquiétant qui s’offre à nous, aujourd’hui?
jean-paul gavard-perret
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 2 novembre 2018.