David Van Reybrouck, Contre les élections
Un petit livre qui fait tic-tac tic-tac…
En plein coeur de l’été, les effets des élections passées semblent avoir été digérés. Des élus ont gardé leur place, d’autres, nombreux, l’ont perdue. Les élections françaises et européennes de 2014 ont été un moment de rotation des représentants démocratiques. Cette mobilité est le signe que la démocratie fonctionne. Elle tourne plutôt, elle tourne en rond. Et s’enlise.
Si certains élus se sont félicités, d’autres se sont lamentés. On bombait le torse ou courbait l’échine. Toujours un déficit d’explication pour les perdants. Perdre ou gagner une élection, c’est affaire de pédagogie, entend-on. Cette référence à la pédagogie dans la bouche des élus sonne comme une gifle. Aux élus le rôle de parents, d’enseignants, et aux électeurs celui d’enfants que l’on guide par médias interposés : les électeurs sont de grands enfants, majeurs certes, mais qui n’ont que le pouvoir de voter et pas celui d’être.
A la radio, avant les élections européennes, une publicité encourageait les électeurs à aller voter. Le slogan martelé comme une devise imparable était : « Choisir son député, c’est choisir son Europe. » Et pourquoi ne pas inviter les citoyens à devenir députés ? Pourquoi réduire l’action citoyenne à celle d’un choix purement individualiste ? Finalement, ce n’est pas son Europe que le citoyen a choisi, mais la leur. Après, on peut s’étonner de l’abstention.
Il faut à la démocratie européenne dans son ensemble et dans ses particularités nationales un nouveau souffle : non pas seulement un sursaut ponctuel mais un courant qui sorte l’Europe des schémas périmés. Cet ouvrage, dont le contenu est bien plus savant et nuancé que le titre frondeur ne le laisse suggérer, nous y amène.
Cet essai court, au style percutant, a été écrit par David Van Reybrouck, auteur belge insaisissable touche à tout : son ouvrage précédent qui était d’une autre nature et ampleur (Congo, une histoire) a connu succès critique, succès d’estime (Prix Médicis Essai en 2012) et rayonnement international. L’auteur, également archéologue et metteur en scène, a en outre initié et participé au G1000, un mouvement belge de mobilisation et de réflexion citoyenne. Habitué à sortir des ornières, nourri de références toujours précises et exigeantes, et animé par la nécessité d’ouvrir des perspectives, l’auteur a construit son essai comme un manuel médical de réveil démocratique. La démocratie européenne est malade ? Soignons-là d’urgence. Auscultation, diagnostic et prescription.
Inutile d’insister ici sur les symptômes de la crise démocratique que traverse l’Europe, décrits dans la première partie de l’ouvrage. Les termes et les maux sont connus, ressassés, mille fois étudiés : comment sortir de la dialectique démagogie contre technocratie ? L’abstention, la corruption et le délitement de la base militante des partis traditionnels de pouvoir fragilisent la légitimité des élus. Tous les Etats européens, qu’ils soient prospères ou en crise, sont confrontés à de nouvelles radicalisations et à la montée des extrémismes anti-démocratiques. Une défiance générale s’installe entre les élites et les parties des populations déclassées et précarisées. La classe moyenne qui est le socle social des démocraties européennes est sous pression. Une « fatigue démocratique » saisit l’Europe.
La deuxième partie de l’essai est plus innovante : la « pathogénèse » nous sort de nos représentations démocratiques convenables et convenues. Notre système de représentation élective qui se veut comme un parangon démocratique est plutôt le résultat d’un tour de passe-passe. En s’appuyant sur des références (Athènes, République vénitienne,..) et des analyses diverses, qu’elles soient contemporaines comme celles de Bernard Manin et ou classiques comme celles de Tocqueville, David Van Reybrouck parvient à montrer que l’équation « élection = souveraineté populaire » est une construction idéologique très récente qui résulte au pire d’un contre-sens historique sinon d’un bricolage usé.
L’élection est essentiellement une procédure aristocratique, réservée à quelques uns. Progressivement, les élections ont évolué et ont concerné une partie de plus en plus importante de la population jusqu’à devenir prétendument « universelles ». Mais l’idée fondamentale est restée celle d’une sélection, dont le principe est vertical. Le tout a été d’amener au pouvoir (dans le cadre par exemple des révolutions pionnières américaines et françaises) une aristocratie qui ne soit pas héréditaire. A bien des égards, nos démocraties fonctionnent comme des « aristocraties électives ». Au moins avons-nous la chance de choisir nos aristocrates… Aristote pouvait affirmer que l’élection était oligarchique tandis que le tirage au sort, lui, était démocratique.
Le tirage au sort, dont le principe est fondamentalement démocratique, existe dans les cours d’assises. David Van Reybrouck parvient à montrer qu’il est aujourd’hui non pas vétuste mais porteur de solutions. Le tirage au sort, dont les modalités peuvent être définies, peut faire partie du remède. Et il a déjà fait partie de certaines initiatives démocratiques et constitutionnelles fortes qui ont eu lieu au Canada, en Irlande et en Islande.
Les modalités de fonctionnement techniques, médiatiques et culturelles des sociétés européennes rendent nécessaire un aggiornamento démocratique qui ne soit pas de façade. Les électeurs ont aujourd’hui les moyens d’être plus que des électeurs, sans pour autant être nécessairement des militants. D’autres modes d’expression, de participation existent déjà mais restent en dehors du cadre institutionnel. « Portes et fenêtres de la maison législative restent barricadées » constate l’auteur. Il est temps de les ouvrir. Un temps nouveau de la démocratie participative doit émerger.
camille aranyossy
David Van Reybrouck, Contre les élections, trad. du néerlandais (Belgique) par Isabelle Rosselin et Philippe Noble, Actes Sud, coll. Babel Essai, Arles, février 2014. 220 p. – 9,50 €.