Celui qui a trouvé son nom dans le dictionnaire : entretien avec Christian Désagulier (revue Toute la lire)

Celui qui a trouvé son nom dans le dictionnaire : entretien avec Christian Désagulier (revue Toute la lire)

Animateur de la revue Toute la lire (chroniquée ici) Christian Désagulier crée des lumières noires sur le blanc à travers ce qu’il photographie et écrit. Son travail, dans la crainte du noir pur, du blanc pur, du vide, du silence est un grand paradoxe. Celui qui demeure fasciné par les images traverse les écrans, les décors, réinvente la vue et rameute l’inconnu. En dehors de tous les abris, l’objectif n’est pas tant de découvrir de nouvelles images que de jeter la mémoire au vif des destinées. Et son art du refus n’est pas refus de l’art :  il passe par tout un travail d’effraction de l’image et sur divers plans : création, analyse.

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Chaque jour est un jour nouveau.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je réalise ceux qui dépendent de moi (réaliser à tous les sens).

A quoi avez-vous renoncé ?
À renoncer.

D’où venez-vous ?
Je n’ai pas d’origine. Je ne suis pas original. Je viens d’un nom découvert un jour dans le dictionnaire.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Une collection d’obstacles pour avancer.

Un petit plaisir – quotidien ou non ?
Le plaisir est un mot impair à prononcer.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres photographes, écrivains, éditeurs ?
Je ne suis pas.

Comment définiriez-vous votre approche de l’écriture ?
J’écris pour apprendre à lire..

Comment définiriez-vous votre approche de la photographie ?
Je fais des photos-souvenirs.

Et celle de votre métier d’éditeur ?
Comme une autre manière d’écrire, c’est-à-dire d’apprendre à lire.

Quelle est la première image qui vous interpella ?
Je n’en ai aucun souvenir, c’est pourquoi je fais des photos.

Et votre première lecture ?
Je ne sais toujours pas lire..

Quelles musiques écoutez-vous ?
«Tout fait musique pour qui sait entendre.» (Pseudo-John Cage)

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je ne suis pas original, « Les Fleurs du Mal », hypocrite lecteur qui cherche du nouveau..

Quel film vous fait pleurer ?
« Ordet » (La parole) dans la première version de Gustaf Molander.

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je vois l’image virtuelle d’un homme en retard d’une quantité de temps t égale à d, la distance qui sépare son regard de la surface du miroir, divisée par C, la vitesse de la lumière.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À cette image dans le miroir qui bouge tout le temps (l’image, le miroir ou les deux à la fois.)

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Les termitières du Yatenga en Afrique, où fut découvert la sidérurgie du fer. Partout où l’on va, on trouve des termythières.

Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
A l’instant présent, parmi les artistes vivants, de Thomas Hirschhorn, Fischli & Weiss, Julia Tabakhova, Gérard Pesson, Frédérick Martin, et les écrivain-e-s de langue française tel-le-s que Jean-Christophe Bailly pour sa façon d’élargir le poème, Michelle Grangaud pour sa façon de les faire fondre, des romans-épures de Leslie Kaplan, mais aussi de Sarah Carton de Grammont pour ses anthropologies tragi-comiques, de Marie Borel pour ses pooézies, d’Alexandre Friederich qui n’en finit pas de perdre sa montre Casio, mais pas seulement (sa montre, proche à l’instant présent), et des poètes-encyclopédistes suédois Jesper Svenbro et l’écossais Hugh MacDiarmid, de l’anti-poète physicien Nicanor Parra et pour ce qui n’aurait pas de fin de Charles Péguy en poète peul.. toutes celles et ceux dont je demeure proche à cause de quelque chose et toutes celles et ceux dont je me rapproche sans le savoir, que les circonstances me guident à l’oreille, que je brûle de.

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Chaque quantième de temps qui passe est un présent (à tous les sens du terme).

Que défendez-vous ?
Je défends que les mots féminins en té prennent un -e, tels que libertée, égalitée, fraternitée (défendre aux sens de défendre quelque chose et non pas de défendre de)

Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
C’est une mallarméade.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
L
a question était peut-être bien que oui, peut-être bien que non, question de scalde.

Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Peut-être bien la question que je me pose : Rad Thu ?

Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 24 novembre 2016.

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