Appollo & Hervé Tanquerelle, Les Voleurs de Carthage – t. 2 : La Nuit de Baal Moloch
Le plus grand casse de l’Antiquité ?
Carthage, ville mythique s’il en est, a fait trop d’ombre à Rome, une situation qui ne plaît pas du tout aux maîtres de la Ville Éternelle. Carthage doit être prise, détruite, rasée. C’est dans ce cadre qu’Appollo place son scénario, un récit très humoristique appuyé sur deux magnifiques losers.
Horodamus le Gaulois et Berkan le Numide sont des brigands qui échouent dans tout ce qu’ils entreprennent. Croyant s’emparer de Tara, envoyée par la guilde des voleurs pour devenir vestale de Tanit, ils passent sous ses ordres. Elle doit profiter de la fin du siège de Carthage pour s’emparer de l’or de la déesse, un trésor fantastique. Sur place, ils vont s’associer à un prêtre-philosophe et un fils de famille pour former la plus belle brochette de « bras cassés » qui soit. Les auspices leurs sont contraires et les deux antihéros se retrouvent crucifiés au pied de la muraille de la cité.
Sauvés par les assaillants, ils tentent de rejoindre le reste du groupe dans le dernier bastion qui résiste, là où se trouve le trésor. Si certains veulent fuir pendant qu’il en est encore temps, Tara veut s’emparer de l’or de Tanit pour ne plus mendier, voler du pain, se vendre aux soudards. Elle réussit à les convaincre et ils commencent, pendant la cérémonie d’adoration au dieu Baal-Moloch, à déménager l’or. Mais les troupes de Scipion, qui assiègent la ville depuis quatre ans, donnent un nouvel assaut…
Appollo multiplie des rebondissements, pourrissant la vie de ses personnages en leur mettant sans cesse des contraintes nouvelles sur la voie vers la richesse. Cependant, les acteurs de la comédie rebondissent, s’arrangent et changent leurs plans avec une capacité d’adaptation peu commune. L’auteur se régale et nous régale avec le récit de ce casse dans le monde romain, avec l’association de cinq malfaiteurs débutants et maladroits. Il est intéressant de noter que la personne la plus forte, la plus solide de son histoire, est Tara, cette jeune femme qui veut absolument sortir de la misère.
Il place l’action de son second volet au cœur d’un univers qui s’effondre. Carthage va tomber sous les ultimes coups de butoir de l’armée du général Scipion. Dans cette atmosphère de fin de règne, de fin du monde, il marie avec un subtil équilibre, intensité dramatique et phases humoristiques, le tout rondement mené. Derrière l’esprit de vengeance et de suprématie de Rome, doit se profiler celui du profit. Comme tous les gouvernants, les consuls devaient être à la recherche de richesses. Carthage avait la réputation d’une ville riche. Il en faut moins pour déclencher des conflits sous des prétextes abracadabrantesques. Il suffit, pour ces dernières années, de se remémorer l’Irak et la Lybie.
Hervé Tanquerelle réalise un dessin réaliste, qui semble relâché mais qui est, en fait, très précis par la concision de ses traits. Il offre quelques planches panoramiques superbes avec des décors travaillés, mettant le plus souvent l’accent sur les échanges, ô combien savoureux, des intervenants. La mise en couleurs d’Isabelle Merlet est d’une grande classe, restituant, par exemple, une ville en proie au chaos, dévorée par les flammes.
Les Voleurs de Carthage est un diptyque passionnant, à l’humour malicieux et ravageur, aux aventures échevelées dans un cadre historique réaliste.
serge perraud
Appollo (scénario), Hervé Tanquerelle (dessin), Isabelle Merlet (couleurs), Les Voleurs de Carthage, tome 2 : « La Nuit de Baal Moloch », Dargaud, 2014, 56 p. – 13,99 €.