Frederika Abbate, La transparence des voiles

Les pou­pées bri­sées et les autres

Ce livre part d’un prin­cipe pre­mier. Contrai­re­ment à ce que les autres s’imaginent en croyant que l’eau se trouve dans les mers, celle-là leur donne nais­sance. Ce chan­ge­ment de pers­pec­tive se charge d’importance et devient un modèle de pen­sée appli­cable à tout.
Et dans ce jeu, la pre­mière pou­pée à avoir été créée aurait été une sorte de fétiche, attri­but rituel des­tiné au culte de la pre­mière divi­nité phallique.

Toute­fois, si ce n’est pas la mer qui donne l’eau mais l’inverse, la pou­pée ne donnerait-elle pas quant à elle la juste divi­nité ? Dès lors, le sacré se met à exis­ter là où n’apparaît  nulle trans­cen­dance connue jusque là. Pour l’héroïne, “Les limbes sont dans ma vulve. Et la vulve est un trou. Si ma vulve est un trou elle fonc­tionne comme le regard.” “Mais il faut qu’au-dehors quelque chose de pareil à ces phé­no­mènes se pro­duisent.“
Pour preuve, ajoute-t-elle, “On dit que les mens­trues sont liées à la lune, aux marées.” S’engouffre alors dans ce livre une forme de ver­tige orga­nique, tel­lu­rique et marin.

Tout, pou­pées et le reste (film com­pris), devient expé­ri­men­tal et exis­ten­tiel selon des figu­ra­tion très par­ti­cu­lières. Exit les inter­dits si bien que l’auteure comme ses per­son­nages res­sus­citent tou­jours en divers cycles sur le thème récur­rent de la nudité jusqu’au sein d’une ascèse “tau­ro­ma­chique” où mise à mort et mise en vie, appa­ri­tion et dis­pa­ri­tion jouent à plein régime.

Les embrayeurs sexuels créent des scan­sions au sein de leur lave, ils en deviennent des signes. La nar­ra­trice semble dire à l’homme : “prépare-toi car je suis prête”. Elle se fait dans sa prière la domi­nante qui ne cherche plus à argu­men­ter. Elle est donc plus prê­tresse que patiente.
A la fois sublime et tri­vial, le lan­gage fait reten­tir l’air de gémis­se­ments et l’arrose de sécré­tions en vue d’unifier phi­lo­so­phie et écri­ture du corps en refu­sant de mettre l’une au ser­vice de l’autre. La pré­sence char­nelle devient immé­diate et sous divers formes : le prin­cipe actif de la pen­sée se confond avec l’expérience corporelle.

jean-paul gavard-perret

Fre­de­rika Abbate, La trans­pa­rence des voiles, Nou­velles édi­tions Place, 2021, 122 p. — 17,00 €.

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