Les poupées brisées et les autres
Ce livre part d’un principe premier. Contrairement à ce que les autres s’imaginent en croyant que l’eau se trouve dans les mers, celle-là leur donne naissance. Ce changement de perspective se charge d’importance et devient un modèle de pensée applicable à tout.
Et dans ce jeu, la première poupée à avoir été créée aurait été une sorte de fétiche, attribut rituel destiné au culte de la première divinité phallique.
Toutefois, si ce n’est pas la mer qui donne l’eau mais l’inverse, la poupée ne donnerait-elle pas quant à elle la juste divinité ? Dès lors, le sacré se met à exister là où n’apparaît nulle transcendance connue jusque là. Pour l’héroïne, “Les limbes sont dans ma vulve. Et la vulve est un trou. Si ma vulve est un trou elle fonctionne comme le regard.” “Mais il faut qu’au-dehors quelque chose de pareil à ces phénomènes se produisent.“
Pour preuve, ajoute-t-elle, “On dit que les menstrues sont liées à la lune, aux marées.” S’engouffre alors dans ce livre une forme de vertige organique, tellurique et marin.
Tout, poupées et le reste (film compris), devient expérimental et existentiel selon des figuration très particulières. Exit les interdits si bien que l’auteure comme ses personnages ressuscitent toujours en divers cycles sur le thème récurrent de la nudité jusqu’au sein d’une ascèse “tauromachique” où mise à mort et mise en vie, apparition et disparition jouent à plein régime.
Les embrayeurs sexuels créent des scansions au sein de leur lave, ils en deviennent des signes. La narratrice semble dire à l’homme : “prépare-toi car je suis prête”. Elle se fait dans sa prière la dominante qui ne cherche plus à argumenter. Elle est donc plus prêtresse que patiente.
A la fois sublime et trivial, le langage fait retentir l’air de gémissements et l’arrose de sécrétions en vue d’unifier philosophie et écriture du corps en refusant de mettre l’une au service de l’autre. La présence charnelle devient immédiate et sous divers formes : le principe actif de la pensée se confond avec l’expérience corporelle.
jean-paul gavard-perret
Frederika Abbate, La transparence des voiles, Nouvelles éditions Place, 2021, 122 p. — 17,00 €.