Alain Robbe-Grillet, Récits cinématographiques

Le cinéma sub­ver­sif d’Alain Robbe-Grillet

Les images qui mul­ti­plient les miroirs, les miroirs qui les mul­ti­plient en retour fas­cinent Robbe-Grillet. D’où les effets de bas­cu­le­ments et de tran­sits que génèrent tous ses films. Avers et envers s’équivalent, le temps n’est plus linéaire : chaque per­son­nage des films doit réin­ven­ter le réel autour de lui. Les images sont des « solides » qui ne ren­voient à rien d’autre qu’elles-mêmes. Le seul contact que le per­son­nage entre­tient avec le monde est donc cette matière, ce lan­gage.
Les films de Robbe-Grillet pro­posent un monde incom­pa­rable mais ils ne se réduisent jamais à des machines à rêver. Ray­mond Rous­sel n’est jamais loin : chez les deux créa­teurs, l’objectif est de créer une énigme sans secret plus qu’un secret sans énigme. Le réa­li­sa­teur sort le cinéma de ses rêves par de fausses images du rêve. Les énigmes de « L’homme qui ment » ou « Trans-Europe-Express » ren­voie à une trans­pa­rence par faux effets d’abîme. Il n’y a rien der­rière de telles images et sur­tout pas de masques ou d’arrière-pensées. D’où les confu­sions qu’on a entre­tenu au sujet d’une telle œuvre.

Ces laby­rinthes sont l’inverse de ce qu’ils sont chez une Duras. L’anecdote n’a plus un contenu mais un mou­ve­ment, c’est une machi­ne­rie propre moins à repro­duire qu’à modi­fier le réel face à tous les rigo­rismes moraux ou esthé­tiques. Le réa­li­sa­teur n’immobilise rien : le mou­ve­ment domine afin que la nar­ra­tion obéisse à une autre logique que celle des his­toires construites sur un avant et un après, une cause et un effet. Le tout avec un goût cer­tain pour cer­tains motifs d’un éro­tisme à la Clo­vis Trouille : fouet, bra­ce­let de fer, col­lier de chien, fesses nues. Bref, tout un arse­nal sado-maso sur lequel l’épouse du réa­li­sa­teur s’est expli­quée il y a peu. Celui qui com­mença le cinéma à qua­rante ans l’ouvrit donc sur bien des chambres secrètes et des alcôves appa­rem­ment sul­fu­reuses.
Mais il faut sur­tout rete­nir dans ce cinéma à redé­cou­vrir abso­lu­ment le sens de l’humour et du jeu, le gout de l’inconscient radio­ac­tif. Il pousse le sur­réa­lisme loin des pon­cifs chers à Bre­ton. Si Sur­réa­lisme il y a dans un tel cinéma, c’est celui de Del­vaux, de Rous­sel, de Duchamp et de Bous­quet dont le réa­li­sa­teur tire des échos d’abîme même s’il ne visait pas le même pathé­tique. Une telle œuvre tarau­dée par l’inquiétude est émi­nem­ment théâ­trale (à l’exception peut-être de « L’homme qui ment »). Son appa­rente étran­geté n’est due qu’à un effet de myo­pie de ceux qui voient dans le cinéma un rêve éveillé. Robbe-Grillet ne rêve pas, il ima­gine pour échap­per au cinéma comme à la littérature.

jean-paul gavard-perret

Alain Robbe-Grillet,  Récits ciné­ma­to­gra­phiques , 9 DVD, Car­lotta Films, Paris, 2013.

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Filed under cinéma, DVD / Cinéma, Erotisme

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