Milo Manara & Umberto Eco, Le Nom de la Rose — T.01

Un thril­ler médié­val revi­sité par un maître du Neu­vième art

Pour adap­ter une œuvre d’un géant de la lit­té­ra­ture, il faut un géant de la mise en images, un maître de l’illustration, un créa­teur gra­phique hors pair. Et, qui mieux que Milo Manara pour ser­vir Le Nom de la Rose quand on voit sa réa­li­sa­tion de la vie du Cara­vage ?

L’album débute avec Umberto Eco qui relate ses tri­bu­la­tions sur les traces d’Adso de Melk et les rai­sons qui l’ont amené à racon­ter l’histoire de ce moine, les aven­tures peu ordi­naires qu’il a vécues dans sa jeu­nesse, vers la fin de l’année 1327. Adso consigne ces évé­ne­ments, retra­çant le contexte géo­po­li­tique de l’époque, son sta­tut de novice devenu secré­taire du frère Guillaume de Bas­ker­ville, un ancien inqui­si­teur.
Celui-ci est chargé d’une mis­sion par l’Empereur et le début de celle-ci passe par une abbaye béné­dic­tine tenue par un abbé opposé au pape cor­rompu. Lorsqu’ils arrivent en cette fin novembre gla­ciale, l’abbé est pré­oc­cupé par les cir­cons­tances étranges du décès d’Adelme d’Otrante, un jeune enlu­mi­neur.
Guillaume obtient l’autorisation de foui­ner, de ques­tion­ner. C’est entouré de quelques moines que les deux enquê­teurs regardent le psau­tier sur lequel Adelme tra­vaillait. C’est le soir même que, dans la por­che­rie, le corps du moine tra­duc­teur de grec et d’arabe est retrouvé dans une jarre rem­plie de sang. Les évé­ne­ments se pré­ci­pitent pour les deux enquê­teurs car de tous les côtés ce ne sont que pré­dic­tions d’apocalypse, œuvres de Satan…

Le roman, dès sa tra­duc­tion en 1982 chez Gras­set, avait séduit des lec­teurs exi­geants, des ama­teurs de récits riches en rebon­dis­se­ments dans un cadre his­to­rique étoffé, construit avec des infor­ma­tions éru­dites. Puis le film réa­lisé par Jean-Jacques Annaud, sorti en décembre 1986, a tou­ché un autre public.
Umberto Eco est certes un roman­cier, mais d’abord un uni­ver­si­taire spé­cia­liste du Moyen Âge. Il ins­talle son livre en tenant compte de la situa­tion poli­tique, les luttes que se livrent les princes pour le pou­voir sur le Saint Empire romain, la mise en cause de la papauté, les alliances qui se nouent en s’appuyant sur des com­mu­nau­tés reli­gieuses. En la cir­cons­tance, Louis de Bavière, excom­mu­nié par le pape Jean XXII, s’appuie sur les com­mu­nau­tés fran­cis­caines qui avaient déclaré la pau­vreté du Christ contre un Jean vivant dans la débauche et la corruption.

L’intrigue est issue de cette situa­tion. Elle ins­talle des meurtres en huis clos dans le décor aus­tère d’une abbaye située sur un pic mon­ta­gneux. Les seuls cou­pables pos­sibles semblent être des moines et une atmo­sphère délé­tère s’installe dans les lieux, pour­ris­sant les rela­tions.
Le récit donne une grande place au livre tel qu’il exis­tait à l’époque, ces copies et reco­pies magni­fi­que­ment illus­trées. Ces psau­tiers étaient, en quelque sorte les ancêtres des bandes des­si­nées car beau­coup de sen­ti­ments, d’expressions à des fins d’édification, pas­saient par les enlu­mi­nures. La biblio­thèque, qui est inter­dite aux enquê­teurs, sera le cadre de drames. De plus, de sombres secrets troublent les reli­gieux de l’abbaye. Avec ces élé­ments, et bien d’autres à décou­vrir dans l’album, les auteurs — roman­cier et scé­na­riste — donnent un intrigue forte, nour­rie de ter­reurs, de dan­gers sournois.

Il faut sou­li­gner le tra­vail excep­tion­nel de Milo Manara qui laisse une belle place aux textes tout en pré­sen­tant des pleines planches superbes, des vignettes avec des décors gran­dioses et des per­son­nages expres­sifs à sou­hait. Pour don­ner un visage à Guillaume de Bas­ker­ville, il retient un Mar­lon Brando jeune.
Les cou­leurs, sous la hou­lette du maître, sont l’œuvre de Simona Manara, sa fille.

Quel superbe album pour son contenu et sa mise en images !!!

serge per­raud

Milo Manara (scé­na­rio d’après le livre d’Umberto Eco, des­sin) & Simona Manara (cou­leurs), Le Nom de la Rose — T.01, tra­duit de l’italien par Jean-Noël Schi­fano, Glé­nat, coll. “24x32”, sep­tembre 2023, 72 p. — 17,50 €.

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Filed under Bande dessinée, Chapeau bas

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