Elargissant le cercle parfois trop restreint de l’érotisme, ce nouveau numéro de la revue Edwarda toujours soucieuse de se tourner vers la beauté, de l’explorer et de la rendre convulsive, gravite autour de l’écrivain James Baldwin afin que sa pensée se prolonge entre autres dans des textes de fiction et afin de ne pas se laisser enfermée dans la qualification de revue érotique basique.
John Jefferson Selve revient sur l’oeuvre du dramaturge et écrivain américain de même que sur son sourire tandis que les femmes qui l’accompagnent (Caroline Boidé, Latif Yilmaz, Sarah Kechemir, Isadora Chen, Véronique Bergen, Sara Mychkine, Najat el Hachimi et Sam Guelini, directrice de publication) élargissent sa pensée à travers leurs fictions et images de “tout ce qui reste” (comme aurait dit Beckett) pour tenir le “là” d’une présence singulière. A savoir celle des femmes. Ce qui dans notre époque n’est pas simple.
Mais les autrices et artistes, plutôt que de coller politiquement à la réalité comme Baldwin l’a parfois effectué, métamorphosent d’une certaine manière sa pensée en reprenant sa balle tout en restant fidèle à sa signature aurorale. Surgit ainsi une nouvelle présence de l’érotisme loin de ses idées reçues. Par exemple, Véronique Bergen et Caroline Boidé montrent combien il ouvre sur l’inconnu dans des blues assombris mais en de belles torsions de langue et de corps.
Les femmes réunies appellent certes à un grand chant de joies. Mais c’est un “Fauve qui peut” que les félines engendrent, même lorsqu’elles jouent des parties à deux, “celles où les cœurs se mêlent, où les corps frissonnent de se toucher, de peur de rompre la corde tendue de leurs âmes.” Et alors que Isadora Chen montre les indices passés de certains ébats, Véronique Bergen en sa danse verbale sait dulciner “enfin à l’envers, dans les Centuries de la honte et lève un verre à l’Absent, au Persécuteur” du moins lorsque le temps plutôt que de renfiler “le tablier du surplace”, vire à l’orage dans les crânes mais tout en clignant encore parfois vers un retour amont.
Si bien que tout est singulier dans ce là du LA qui dit ce qui fut, sans honte, pudeur ou désespoir, histoire de se relever et d’affirmer le droit à être pour toutes les femmes. Comme aussi pour tous les damnés noirs et homosexuels que Baldwin tenta un des premiers de sortir de leurs filets et ce, tandis que dans “lard de la conversation” de la nouvelle de Lolita Pille il ne faut pas confondre Bacon et bacon.
Une nouvelle fois avec “Edwarda” — et ce que son nom induit de résonnances chères à Bataille -, des espaces s’ouvrent. Dans cet ensemble, l’érotisme sait habilement brouiller ses cartes pour qu’il ne soit plus une affaire de mâles, du moins de ceux qui obligent les femmes à leurs jeux de colin-maillard.
jean-paul gavard-perret
Revue Edwarda, N° 15, Tenir le là, septembre 2023, 111 p. — 18,00 €.