Revue Edwarda n° 15 : “Tenir le là”

Manuel de félinité

Elar­gis­sant le cercle par­fois trop res­treint de l’érotisme, ce nou­veau numéro de la revue Edwarda tou­jours sou­cieuse de se tour­ner vers la beauté, de l’explorer et de la rendre convul­sive, gra­vite autour de l’écrivain James Bald­win afin que sa pen­sée se pro­longe entre autres dans des textes de fic­tion et afin de ne pas se lais­ser enfer­mée dans la qua­li­fi­ca­tion de revue éro­tique basique.

John Jef­fer­son Selve revient sur l’oeuvre du dra­ma­turge et écri­vain amé­ri­cain de même que sur son sou­rire tan­dis que les femmes qui l’accompagnent (Caro­line Boidé, Latif Yil­maz, Sarah Keche­mir, Isa­dora Chen, Véro­nique Ber­gen, Sara Mych­kine, Najat el Hachimi et Sam Gue­lini, direc­trice de publi­ca­tion) élar­gissent sa pen­sée à tra­vers leurs fic­tions et images de “tout ce qui reste” (comme aurait dit Beckett) pour tenir le “là” d’une pré­sence sin­gu­lière. A savoir celle des femmes. Ce qui dans notre époque n’est pas simple.

Mais les autrices et artistes, plu­tôt que de col­ler poli­ti­que­ment à la réa­lité comme Bald­win l’a par­fois effec­tué, méta­mor­phosent d’une cer­taine manière sa pen­sée en repre­nant sa balle tout en res­tant fidèle à sa signa­ture auro­rale. Sur­git ainsi une nou­velle pré­sence de l’érotisme loin de ses idées reçues. Par exemple, Véro­nique Ber­gen et Caro­line Boidé montrent com­bien il ouvre sur l’inconnu dans des blues assom­bris mais en de belles tor­sions de langue et de corps.

Les femmes réunies appellent certes à un grand chant de joies. Mais c’est un “Fauve qui peut” que les félines engendrent, même lorsqu’elles jouent des par­ties à deux, “celles où les cœurs se mêlent, où les corps fris­sonnent de se tou­cher, de peur de rompre la corde ten­due de leurs âmes.” Et alors que Isa­dora Chen montre les indices pas­sés de cer­tains ébats, Véro­nique Ber­gen en sa danse ver­bale sait dul­ci­ner “enfin à l’envers, dans les Cen­tu­ries de la honte et lève un verre à l’Absent, au Per­sé­cu­teur” du moins lorsque le temps plu­tôt que de ren­fi­ler “le tablier du sur­place”, vire à l’orage dans les crânes mais tout en cli­gnant encore par­fois vers un retour amont.

Si bien que tout est sin­gu­lier dans ce là du LA qui dit ce qui fut, sans honte, pudeur ou déses­poir, his­toire de se rele­ver et d’affirmer le droit à être pour toutes les femmes. Comme aussi pour tous les dam­nés noirs et homo­sexuels que Bald­win tenta un des pre­miers de sor­tir de leurs filets et ce, tan­dis que dans “lard de la conver­sa­tion” de la nou­velle de Lolita Pille il ne faut pas confondre Bacon et bacon.
Une nou­velle fois avec “Edwarda” — et ce que son nom induit de réson­nances chères à Bataille -, des espaces s’ouvrent. Dans cet ensemble, l’érotisme sait habi­le­ment brouiller ses cartes pour qu’il ne soit plus une affaire de mâles, du moins de ceux qui obligent les femmes à leurs jeux de colin-maillard.

jean-paul gavard-perret

Revue Edwarda, N° 15, Tenir le là, sep­tembre 2023, 111 p. — 18,00 €.

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