Robert Bober est un homme et écrivain attachant et précieux. Et son nouveau livre le prouve. Son titre est tiré d’une phrase crépusculaire de Pierre Reverdy : « Quand la lampe n’est pas encore éteinte, quand le feu commence à pâlir et que le soleil se cache, il y a quand même dans la rue des gens qui passent ». Parmi eux il y a des vivants et des morts. Ils animent ce livre de mémoire qui lie le lecteur à l’âme mélancolique et pleine d’humour de son auteur.
S’y croisent enfants, amis, artistes, écrivains dont Mona Ozouf, Éric Vuillard et le street artiste Seth. Et c,e au moment où le décès de la femme adorée et la présence toujours plus prégnante de la vieillesse étreignent Bober. Et une fois de plus, il éprouve le besoin urgent de se remémorer et de transmettre — à savoir les deux points essentiels qui caractérisent son œuvre. Celle-ci cultive autant la révérence que son contraire lorsque cela est nécessaire.
C’est aussi sa manière de poursuive sa lettre à l’Ami (Pierre Dumayet). D’outre-tombe il reçoit cette missive entamée avec La vie n ’est pas sûre (2020). Elle est elle aussi accompagnée de nombreuses images (photographies, films, illustrations).
C’est enfin une approche autobiographie mais selon un fléchage particulier. Il ne s’agit pas pour Bober de l’écrire pour lui ou pour les autres mais “à eux”. Et cela est important lorsque se retrouvent parfois des temps révolus et disparus afin de les amener au jour en cassant les silences, les oublis.
Ajoutons qu’un tel raccordeur de vie, par un processus de passé empiété, interroge la langue dont bien sûr le yiddish, les images (il en a créé de sublimes) et la littérature (idem). Souvenirs et histoires deviennent des cadeaux. Et les disparus (entre autres des camps) vivent à nos côtés. C’est là qu’ils ont leur place, là où Bober rappelle les déchirures de l’enfance de l’auteur dont la première carte d’identité mentionnait à la rubrique Nationalité : indéterminée.
Il y a entre les enfants juifs de Paris traqué pendant la guerre et les bombardements de Poutine sur Kiev une communauté. Mais, dépassant son sentiment « d’imposture» d’avoir échappé au sinistre destin des siens, Bober se révèle une fois de plus un conteur rare à la Singer, capable de dire la vie des autres et la sienne et d’ouvrir une méditation grave et drôle sur l’identité.
jean-paul gavard-perret
Robert Bober, Il y a quand même dans la rue des gens qui passent, P.O.L éditeur, octobre 2023, 288 p. — 23,00 €.