Le livre
N’en déplaise à Blanchot, le livre à venir qui serait la prochaine vivante demeure de l’espèce humaine n’est que bois flotté détaché de tout profil et dérivant sur un fleuve où demeurent noyés la plupart de ses semblables. Qu’il soit ânonnant ou ouvrage de taupe progressant sous les coups de pelle de l’émotion, rien n’y change.
Chaque livre est voué à la même cruauté que celle des enfants envers les parents rendus à leur merci par l’étreinte rigoureuse de la vieillesse. Qu’importe donc les pulsations qu’il fait revivre entre le rêve et l’éveil, qu’importe ses diastoles et systoles qui éloignent des interdits.
Sur le court ou le long terme, sa circulation est compromise : il est condamné au naufrage dans l’épreuve du temps et donc à sa probable disparition. Et ce, même pour ceux qui, à leur parution, n’ont pas connu pour seul bagage le cercle de silence.
Mais qu’on se rassure, il existera toujours une poignée de moines franciscains et farcesques pour défendre la condition honteuse imposée à des chefs-d’oeuvre abattus par des ministres-chiens du culte littéraire. C’est pourquoi il faut considérer tout livre comme une bête traquée mais dont nous pouvons attendre le bond face à la force admise de sa disparition.
jean-paul gavard-perret
Photo Anna Bambou