Diptyques et trio du fantôme
A coté de la thématique du paysage, celle du lien artiste et modèles traverse l’œuvre de Bélégou. La première envisage un dehors et la seconde l’intime jusqu’à créer un onirisme où le rêve a parfois rejoint chez le photographe la réalité tant la photographie du nu féminin nécessite un travail avec des formes, des volumes, des couleurs et ce, au plus près des corps, des visages pour fixer une sorte d’ “éternité” .
Le tête-à-tête avec le modèle, même s’il se décline comme celui avec le paysage ou la nature morte, crée néanmoins une immersion et une proximité qui tient d’un rituel dégagé ici d’un rite purement érotique. Il faut en effet de longues et méthodiques séances de poses pour qu’abandon et beauté surgissent en une complicité agissante lorsque Bélégou se concentre sur le corps, sa pose, le jeu de lumière, la composition, la profondeur du champ.
Cela, désormais jusqu’au moment où l’artiste finit par retourner son appareil pour des autoportraits et les adjoindre en diptyque avec les clichés de ses modèles.
Il lui convient de se laisser aller afin d’épouser le rythme de l’espace et du temps. Et soudain, la photographie avant de présenter un miroir dans lequel se verrait un ou une autre, accorde la pure contemplation d’un langage photographique. S’y perdre est à la fois un plaisir et une angoisse parce que ces doubles images présentent un rapport inédit dans l’oeuvre.
A l’épreuve des diptyques, une fable se crée pour que nous soyons avec le créateur et ses modèles dans ce que l’artiste nomme “la vérité”. Celle d’appartenance en écho. Dans cette dualité et adjacence, portraits et autoportraits prennent valeur d’icônes. Elles posent leur aura et la réalité en une trace, en une suite de rapts d’instantanés qui ne se saisissent que dans la longueur du temps.
L’extraordinaire tient donc par le fait que nous vivons en quelque sorte dans un autre monde. Car le “motif” invite à la fiction. Elle n’interdit pas la délectation mais déplace la jouissance. Si bien que si l’image n’enlève en rien le corps ou le visage, elle les fait vivre autrement.
C’est avancer en une zone d’incertitude et d’affirmation au moment où le diptyque crée non une fusion mais un consentement à multiples rapprochements, présences et entrées. Pour preuve, le duo artiste/modèle se transforme en trio avec l’arrivée du regardeur “fantôme”.
jean-paul gavard-perret
Jean-Claude Bélégou, Artiste + Modèle 2023, www.belegou.org