Santiago Gamboa, Colombian Psycho

Un roman noir inhabituel…

Le roman­cier a habi­tué ses lec­teurs à plon­ger dans des récits où le cadre et les décors sont exis­tants. Avec ce nou­veau roman foi­son­nant, il n’est pas en reste. Il décrit une Colom­bie en proie aux vio­lences récur­rentes qui secouent ce pays depuis des décen­nies sans que la dimi­nu­tion, à défaut de l’arrêt, puisse être envisagée.

C’est la fête tra­di­tion­nelle d’Halloween don­née dans une luxueuse pro­priété sur les col­lines de Bogotá. La fille de la mai­son, qui craque pour un Felipe réti­cent, a orga­nisé leur baise dans une voi­ture à l’écart. Alors qu’elle arrive à ses fins, sa posi­tion lui fait voir une main décou­verte par les pluies tor­ren­tielles. Les enquê­teurs du CTI dégagent la main et le bras qui va avec. Plus loin, ils repèrent le bras droit entier, mais le reste du corps est introu­vable.
Les recherches par l’ADN res­tent infruc­tueuses quand, par hasard, un légiste tombe sur celui d’un indi­vidu empri­sonné. Il s’agit d’un para­mi­li­taire, spé­cia­liste de la tor­ture, qui a été retrouvé fraî­che­ment démem­bré, de façon pro­fes­sion­nelle, dans un bloc opé­ra­toire clan­des­tin. Le pénis et les tes­ti­cules ont été enle­vés éga­le­ment. Son passé lui a valu trente-sept ans de pri­son. Mais per­sonne n’a cher­ché à savoir pour­quoi il a subi ce trai­te­ment, qui l’a com­man­dité ou exécuté.

C’est le pro­cu­reur Edil­son Jut­sińa­muy chef du ser­vice des Inves­ti­ga­tions spé­ciales, et son équipe, qui hérite du dos­sier. Mais, pour mener une enquête appro­fon­die sur les tenants et abou­tis­sants, sur les res­pon­sables, il doit faire appel, dis­crè­te­ment, à Julieta, une jour­na­liste, et à Johana, son assis­tante.
Une médium donne l’alerte. Un corps tota­le­ment démem­bré est retrouvé dans la salle de bains de l’appartement du des­sus. Les deux femmes rap­prochent les deux situa­tions et s’engagent dans une enquête semée d’embûches, si hau­te­ment dan­ge­reuse qu’elles vont craindre pour leur vie…

L’auteur raconte une situa­tion quo­ti­dienne qui semble être une malé­dic­tion que per­sonne ne sait, ou ne veut, arrê­ter. C’est une suite de meurtres, de fémi­ni­cides d’uxoricides, de ven­geances, de règle­ments de compte… Ce sont les luttes entre fac­tions, entre rebelles et para­mi­li­taires, entre forces de l’ordre et gangs, milices.
Il décrit les consé­quences des années de gué­rilla, de la cor­rup­tion aux plus hauts niveaux du pou­voir, des arran­ge­ments entre poli­tique et jus­tice, des magouilles pour par­ve­nir à être élu et se goin­frer, de l’action des réseaux finan­ciers tant natio­naux qu’internationaux, le tra­fic juteux de drogues…

Dans ce mael­strom, San­tiago Gam­boa met en scène trois per­son­nages prin­ci­paux, des héros au sens noble du terme c’est-à-dire des indi­vi­dus qui luttent au quo­ti­dien, sans esbroufe ni rou­le­ments d’épaules, pour faire valoir, recon­naître, essayer de faire triom­pher des valeurs huma­nistes.
Le trio se com­pose d’un magis­trat, ori­gi­naire d’un des peuples indi­gènes, et de deux vraies jour­na­listes, deux femmes qui traquent l’information, ne se conten­tant pas de déli­vrer les textes conve­nus et pré­mâ­chés. Bien sûr, de telles atti­tudes com­portent des gros risques.

Santi­ago Gam­boa entoure ses héros d’une belle suite de seconds rôles, des poli­ciers effi­caces, une déte­nue aux iden­ti­tés variées, d’un homme démem­bré et émas­culé, d’une gou­rou et de nom­breuses per­sonnes qui se débattent pour sur­vivre, qu’elles soient, d’ailleurs, dans un camp ou dans un autre.
Et le roman­cier se mêle en tant que pro­ta­go­niste, impli­qué dans un meurtre sau­vage en lien avec un de ses romans (publié en 2016), Retour­ner dans l’obscure val­lée, où sont décrits des faits qui s’imposent à la réa­lité. Et il n’est pas tendre avec son double fic­tif, au point de…

Le roman­cier manie l’humour avec délec­ta­tion. Il joue avec le sar­casme, le déca­lage, il iro­nise et vire­volte d’une belle expres­sion à une plus tri­viale. Il fait preuve d’un sens de l’image, de la for­mule qui per­cute. Il brosse de magni­fiques por­traits, entrant si bien dans la vie de ses per­son­nages qu’on a l’impression de les connaître depuis long­temps.
Il n’occulte pas les pul­sions sexuelles, les besoins de l’amour phy­sique, tant ceux res­sen­tis par les dames que par les hommes, décri­vant des caresses bien réa­listes. Acces­soi­re­ment, il donne une des­crip­tion au vitriol du foot­ball colom­bien et du niveau des joueurs.

Colom­bian Psy­cho, titre donné par Julieta sur la pre­mière page de ses notes, est un roman rigou­reux, à l’intrigue éner­gique, sans temps morts, qui, sous cou­vert d’une fic­tion, détaille la réa­lité cau­che­mar­desque d’un pays à tra­vers un récit excep­tion­nel. La conclu­sion ouverte fait espé­rer vive­ment une suite.

serge per­raud

San­tiago Gam­boa, Colom­bian Psy­cho (Colom­bian Psy­cho), tra­duit de l’espagnol (Colom­bie) par Fran­çois Gau­dry, Métai­lié, coll. “Biblio­thèque hispano-américaine — Noir”, mars 2023, 592 p. — 23,00 €.

Leave a Comment

Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>