Santiago Gamboa en Colombie : tout doit disparaître !
Nouveauté dans ce Santiago Gamboa : on y parle quasi exclusivement de la Colombie, chose qui n’était pas arrivée depuis bien longtemps. Il nous conte l’histoire d’une famille de Bogotá : Manuel jeune gars triste et timide qui étouffe entre sa parents réac, ses profs sinistres, ses camarades stupides. Son premier refuge : les livres, le cinéma, les études de philo. Deuxième refuge : sa sœur Juana, la seule personne avec laquelle il peut communiquer, qui, elle aussi est prête à exploser et dont la principale obsession est de se barrer de ce putain de pays.
Il faut les comprendre ces petits, on est dans les années 2000, celles des FARC, des paramilitaires et des narcos, celles d’Uribe et ses magouilles. Le moins que l’on puisse dire c’est que leur quotidien n’est pas reluisant. Ce n’est pas qu’ils sont pauvres, c’est pire que ça, ils font partie de la classe moyenne : opportuniste, étriquée, mesquine, raciste et on en passe, une classe moyenne en état de guerre permanent, qui méprise les pauvres et se prosterne devant les puissants. Bref, une ambiance à vomir. Un beau jour Juana disparaît. Et plus tard Manuel se retrouve en taule à Bangkok. Comment en est-on arrivé là ? Quelques flash-backs vont nous éclairer.
Et on retrouve ainsi la tendance de Gamboa à ne pas pouvoir écrire une histoire complète, préférant se disperser dans plusieurs histoires plus petites s’attachant à chacun de ses personnages. L’histoire de Manuel : la quotidien dépressif de la capitale. L’histoire de Juana : son équivalent quand on se rapproche du pouvoir. Car Juana est prise d’une drôle d’idée pour améliorer son sort : se vendre, faire la pute pour les gens puissants, sénateurs, stups, avocats. C’est un raisonnement qui en vaut un autre, mais il y a au fond une faille : cette activité est certes lucrative mais elle n’est pas utilisée pour réaliser un projet qu’on aurait pu au départ espérer (au hasard : manipuler, espionner, subvertir, se venger). Et certes, son boulot lui permet de se sortir des situations les plus glauques, mais c’est aussi ce boulot qui l’y met. Elle pense maîtriser son destin alors qu’elle doit régulièrement fuir et repartir de zéro. Sa belle démonstration de guerrière tombe à l’eau. Ce qui ne l’empêche pas de continuer, toujours plus forte et déterminée. C’est le gros paradoxe de ce livre et de son auteur (car à n’en pas douter l’auteur est de tout cœur avec son héroïne (et on est d’ailleurs très tenté de croire qu’un des personnage est l’auteur, il faudra creuser ça un jour, cette impression d’autobiographie permanente dans ses livres)).
On a bien compris, Gamboa dit tout le mal qu’il pense de la Colombie où il n’y a visiblement pas grand chose à sauver. Et s’il laisse de côté certaines de ses marottes (pas de philologues, pas de joueur d’échec, pas de sud américains désargentés à Gentilly), il n’oublie celle à laquelle il semble tenir le plus : le sexe. Sauf que là, ça n’a pas vraiment de sens comme cela en avait dans Le Syndrome d’Ulysse (où c’est le seul antidote à la pauvreté, la solitude et la souffrance) ou le récent Nécropolis 1209 (où il est possible d’être réalisatrice de films pornos politiques). C’est un peu triste. Un peu décevant. Et finalement cela n’amuse que le narrateur.
matthias jullien
Santiago Gamboa, Prières Nocturnes, traduit de l’espagnol (Colombie) par François Gaudry, coll. “Bibliothèque hispano-américaine”, Métailié, janvier 2014, 310 p. — 20, 00 €.