C’est parce que, comme il est inscrit dans l’incipit de Georges Hyvernaud, “les vrais souvenirs vivent, parlent en-dessous. Ils s’obstinent.” que l’auteur entame son roman par le propos de l’héroïne première et par procuration du livre.
Elle a rencontré un jour de guerre un homme dont la silhouette se faufila dans le trait de lumière et vint se placer devant lui, debout dans l’ombre. Cette femme allemande lui a souri, “fière d’avoir osé.”
Elle a vu en six ans de guerre passer des soldats de toutes nationalités, des vaincus, prisonniers, réquisitionnés affectés aux récoltes, aux labours. Mais celui-ci (Malucci) était “d’une espèce inconnue” et qui vécut un temps dans sa famille. Bientôt ils s’aimèrent — verbe dont le narrateur ne peut dire exactement quelle valeur il faut lui donner.
Toujours est-il qu’ils couchèrent ensemble sans savoir précisément où (grange, pré, chambre…) et Malucci et cette femme en gardèrent longtemps le souvenir. D’autant que de ce plaisir “naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre vers lui.”
Cette scène première poursuit le narrateur-auteur qui précise l’avoir déjà insérée il y a des années dans un autre livre mais “sans bien mesurer ce qui s’y jouait.” C’est pourquoi il y revient dans un travail où au réel se substituent l’imagination, le fantasme, le rêve.
Le tout entre innocence, gravité avec en filigrane le vertige de la conséquence imprévue après que le désir ait subsumé les interdits, le scandale et ses conséquences durant des décennies ensuite. Mais comme ni Malucci ni cette femme ne sont plus là pour raconter, l’auteur les remplace.
Il recommence par le début mais aussi et surtout à l’instant où toute l’histoire s’était remise à refaire surface en rejaillissant (un après-midi de juillet lorsque la famille revenait du cimetière) des couches de silence sous lesquelles chacun tentait de la cacher, de l’oublier plus par une “accumulation de non-décisions plutôt que de vrais choix, quelque chose au fond comme une flemme, un ajournement toujours répété”.
En conséquence, le principal acteur de cette “aventure” fut laissé dans l’ignorance selon une injonction majeure : ” si je ne t’ai rien dit c’était pour ton bien.”
L’auteur nous fait ainsi rejoindre bien des histoires de famille où se taire est beaucoup plus important que de parler — cela serait tenu pour un crime. Mais le narrateur s’est retrouvé “avec le bout d’un fil entre les doigts, l’extrémité d’une pelote sur laquelle j’avais aussitôt senti que je n’aurais qu’à tirer pour faire venir à moi le reste de l’histoire.“
Il y eut ainsi, après ce qui était arrivé et qu’un gendre de Malucci finit par révéler à dessein et bravant l’omerta générale, ce qui est arrivé. Pour tenter de le dépasser.
Mais plus que cette bobine de fil à tirer, cette révélation fit d’abord effet d’une bombe qui laissa le narrateur abasourdi et sonné en une sorte de hiatus générateur d’abord de souffrance.
La chose dite, rien ne pourra plus rester comme avant. Et c’est alors que M (seule lettre qui désigne le fils illégitime) entre dans la vie de Simon (le narrateur), dont il ne sortira plus. Son récit de la vie de M sera en même temps celui de sa propre existence bousculée par sa séparation d’avec sa compagne, la mère de ses enfants.
Existe ainsi le récit implicite d’une double absence et il en devient la quête avec ses moments de suspense et ses coups de théâtre. Le tout pour une idée majeure : sois qui tu es pour devenir toi-même. Et avec cette nouvelle histoire de Sylvain Prudhomme, nous ne sommes pas loin de son roman Là avait dit Bahi. Le nouveau Simon est celui qui était allé visiter Bahi pour connaître un secret. Il se révèle ici.
lire un extrait
jean-paul gavard-perret
Sylvain Prudhomme, L’Enfant dans le taxi, Editions de Minuit, 2023, 224 p. — 20,00 €.
Par les routes de l’écriture JPGP retrouve son talent de fine analyse critique et rejoint ainsi celui de Sylvain Prudhomme .