Il semblerait que, cet été, la plage et son univers aient une place de choix dans diverses parutions : Le journal Le Monde propose par exemple une série sur les châteaux de sable associés à des artistes… La maison d’édition Rivages, de son côté, nous invite à la découverte de l’Eloge de la plage du romancier, Grégory Le Floch.
Ce texte pose semble-t-il à mon libraire, et peut-être à tout lecteur, le problème de son appartenance à un genre littéraire défini. Où le ranger dans les rayons ? S’agit-il pour une part d’un récit autobiographique ou d’un essai parfois historique, parfois sociologique, d’une tentation d’écriture poétique ? La réponse est sans doute dans le constat de cette pluralité formelle. Et cela fait perdre au texte la force d’une vraie unité livresque.
On aurait aimé suivre beaucoup plus longtemps les pas du narrateur à la première personne qui voyage d’une plage à l’autre, accompagné de son compagnon d’aventures, Christophe, dans le grand sud de l’Italie, dans une île grecque. La plage est effectivement un vrai lieu littéraire au point d’ailleurs d’être le lieu où Le Floch écrit : il est comme un point origine de la sensualité, de la sexualité, un « hors du monde » où les corps peuvent s’abandonner. Selon lui, chaque auteur trouve son lieu et, pour lui, il s’agit bien de la plage : « Le style, l’agencement des mots, l’intrigue dépend de sa capacité a trouvé ce lieu »
L’auteur parvient ainsi à créer un charme au sens fort du mot, qu’il rompt hélas! en introduisant assez longuement, un discours savant, documenté sur les tout débuts de la plage réservés aux « fous » puis à l’aristocratie après des siècles de méfiance, de peur pour cet espace entre océan et terre. Une surface « oblique », une « bordure du monde » qui depuis subjuguent.
L’ écrivain évoque jusqu’aux plages minées de l’Ukraine d’aujourd’hui, ou toutes celles qui sont inexorablement condamnées à la disparition, face à l’avancée de la mer. La plage suppose aussi la tragédie des hommes : l’auteur repense à la célèbre photo du petit Aylan, noyé et gisant sur une plage turque.
A son tour, l’Académicienne, Chantal Thomas publie l’Etreinte de l’ eau, dans la collection “versant intime” des éditions Arthaud, collection proposée sous la forme d’un entretien et mettant en avant un auteur et un environnement qui lui est cher, de la montagne à la mer. C’est le directeur de la collection, Fabrice Lardreau, qui interroge Chantal Thomas. Les deux livres, chacun à leur manière peignent l’espace de l’eau, du sable.
Chantal Thomas a déjà beaucoup écrit sur ces thèmes, en enfant du Bassin d’Arcachon. En 2006, paraissait le texte Chemins de sable puis, en 2017, celui de Souvenirs de la marée basse autour de la figure de sa mère, adepte forcenée de la nage et enfin celui de De sable et de neige en 2021 suivi du Journal de nage.
Incontestablement, cette entreprise littéraire se noue à partir de l’autobiographie mais pas seulement. C’est également le devenir adulte, le devenir de femme et d’auteur qui sont en jeu, à travers le prisme de « l’eau, la nage, le sable et les mots. »
Chantal Thomas célèbre le bonheur de son corps (nu) dans l’ eau, la liberté qui en émane. Elle appartient au monde des eaux, bien loin de celui des forêts inquiétantes, de la terre, à la différence d’un Mauriac, qui y puise son oeuvre. Comme chez Le Floch, il est question du rapport à l’écriture. Thomas écrit que la nage a quelque chose de « l’efficacité narrative du roman ».
L’écriture, la peinture aussi saisissent cette mouvance, ce recommencement et impermanence que le monde de l’eau et du sable désignent. A la fin du volume, Chantal Thomas réunit une petite anthologie littéraire d’auteurs qui, du Victor Hugo des Travailleurs de la mer à la romancière américaine d’origine japonaise, Julie Otsuka, en passant par Gaston Bachelard et l’anglais Sprowson, élisent eux aussi, comme lieu de leur écriture, l’Eau.
On peut regretter, un peu comme pour le livre précédent, l’introduction de questions dans l’entretien hors sujet : en effet, F. Lardreau interroge C. Thomas sur le genre du journal, comme genre littéraire et sur Roland Barthes qui a tenu une place prépondérante dans la trajectoire de l’écrivaine. Nous sommes bien loin alors des « swimming books » contemporains et des rivages du Cap Ferret.
Mais, on peut toujours lire à la plage, allongé sur le sable face au large.
marie du crest
Grégory le Floch, L’éloge de la plage, Rivages 2023, 235 p. — 14,00 €.
Chantal Thomas, L’étreinte de l’eau, Arthaud collection « versant Intime », 2023, 172 p. — 13,00 €.