La passion d’écrire : entretien avec Carmen Pennarum

Carmen Pen­na­rum n’a pas de mal à aller à la ren­contre des mondes insai­sis­sables car écrire est sa pas­sion. Elle demande presque moins d’application, que de pré­sence — ce que William Car­los Williams nomme se mettre en condi­tion d’écrire. La poé­tesse invente alors une écri­ture ten­due qui peut se passe de racon­ter une his­toire.

Des bribes de vie mises bout à bout avec humour peuvent suf­fire là où le sérieux gît dans les détails et crée un uni­vers. Au lec­teur de se deman­der si lui-même n’est pas sur le point de vivre un rêve éveillé face aux­quels cer­tains noc­turnes pas for­cé­ment indiens sont de la rou­pie de san­son­net.
Existent dans une telle approche, une force de relance et une sorte de rap­pel de dif­fé­rentes pertes. Une conscience d’une bri­sure est là mais l’auteure y répond tou­jours par delà un simple constat.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le chant des oiseaux ou la chatte Boud­dha qui à la porte s’impatiente et pro­pose, dès son entrée, des jeux de cirque qui imman­qua­ble­ment me font rire. Mon fils qui est à la mai­son actuel­le­ment. Le désir d’écrire un poème dont les bribes, sous forme de pen­sée ori­gi­nale, sont venues s’inviter durant la nuit. Pas le télé­phone, non, pas lui, qu’il reste silen­cieux… il ne doit pas me dic­ter ma journée !

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je sou­hai­tais voir des sou­rires sur les visages de tous les enfants qui allaient croi­ser ma route, je suis deve­nue ensei­gnante en mater­nelle et ces années sco­laires furent, je pense, de belles croi­sières pour les élèves comme pour leur « maî­tresse ».
J’avais le désir d’écrire des mots capables de tra­duire toute la beauté du monde et les aspi­ra­tions (nobles) du cœur des hommes. Mettre des mots me sem­blait essen­tiel car j’ai constaté, dès l’enfance, com­bien la parole était pauvre pour dire ce que je com­pre­nais du com­por­te­ment, des regards des gens, des ani­maux aussi. J’éprouvais le besoin de dire la nature en la des­si­nant, j’ai des­siné et je me suis consa­crée à la cou­leur, avant d’écrire. Je vou­lais faire de grands voyages. La Bre­tagne m’a rete­nue même si je vais par­fois dans le Mas­sa­chu­setts voir ceux que j’aime et qui ont choisi d’y vivre. J’ai parlé très tôt et je m’étonnais quand je voyais des enfants de mon âge, ou plus âgés, qui n’avaient rien à dire ou ne savaient pas encore par­ler. Du haut de mon jeune âge je me deman­dais com­ment faire pour que vienne la parole (une pré­oc­cu­pa­tion de péda­gogue, déjà).

A quoi avez-vous renoncé ?
À la liberté car l’attachement tou­jours retient…

D’où venez-vous ?
J’ai vécu une enfance un peu bohème jusqu’à mon entrée en 6ème. J’aimais le Sud, mais c’est en Bre­tagne que ma famille s’est installée.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
Une grande capa­cité de tra­vail qui ne tient pas compte des limites. Cadeau à double tranchant !

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Prendre le thé avec mon chéri. Ces­ser tout et prendre le temps de ce rituel. Aller voir avec lui la mer à l’improviste.

Com­ment définiriez-vous la nature de votre poé­sie ?
Mys­tique, cer­tai­ne­ment… puisqu’elle est venue à l’improviste, me dic­tant, de nuit, mes pre­miers poèmes. Proche de la nature, tou­jours. Si les émo­tions peuvent nous perdre, la nature, pour peu qu’on ne la charge pas de nos peurs, nous réta­blit dans ce qui est juste et dans l’instant pré­sent. En fait c’est cela ; j’écris comme je pra­tique le Yoga, quand on recherche la pos­ture juste accom­pa­gnée d’une res­pi­ra­tion ample et que l’on est à l’écoute de son corps. Je suis à l’écoute, non pas d’une voix exté­rieure ‚mais d’une har­mo­nie que seul l’intérieur peut réta­blir, à chaque ins­tant désaccordé.

Quelle influence la Bre­tagne, ses contes, ses mys­tères a sur vous ?
J’étais plus proche de Manon des sources que de la Marion d’une de mes nou­velles. Il m’a fallu apprendre à lais­ser cou­rir ma jeu­nesse dans la lande bre­tonne plu­tôt que dans la gar­rigue. De la même façon, j’ai appris à aimer la bruyère, sans cher­cher à lui trou­ver un par­fum de lavande. La Bre­tagne, je l’ai décou­verte en soli­taire alors que le Sud se déployait sous le signe de l’amitié. La Bre­tagne a ins­tallé en moi un grand silence qui m’a demandé de creu­ser pro­fon­dé­ment pour trou­ver les mots, pour les pro­té­ger de la sau­va­ge­rie et de la timi­dité crois­sante qui ris­quait de les étouffer.

D’où est par­tie votre idée expé­ri­men­tale de “can­ni­ba­lisme lit­té­raire ?
Voilà une grande ques­tion. Par ce terme, je recon­nais mon côté « exces­sif ». Enfant, je « dévo­rais » tous les livres qui me tom­baient sous la main. J’y décou­vrais tant de visages de la vie. L’écriture (bien que pré­sente dans l’enfance), je ne lui ai accordé qu’une place tar­dive dans ma vie. En fait, je ne lui ai rien accordé du tout, l’écriture s’est impo­sée et elle est deve­nue exi­geante. C’est une pas­sion. J’aurais ten­dance à vou­loir cal­mer son ardeur mais elle ne l’entend pas ainsi. Le flot des pen­sées, j’aime l’interrompre et j’atteins ainsi une forme de silence où je suis bien. C’est cet espace de Paix, gagné sur la tem­pête, que la Poé­sie vient me ravir. Elle le fait sans tenir compte de mes limites humaines. Quand je suis sereine elle me place au-dessus du vide et il me faut ima­gi­ner des pas japo­nais flot­tants, moi qui suis sujette au ver­tige. Vous com­pren­drez qu’il m’arrive d’être en colère contre elle. Cette pas­sion est dévo­rante. Il est plus impor­tant pour moi de vivre tout sim­ple­ment que d’écrire, mais la poé­sie est en moi et me sol­li­cite beau­coup. Elle peut m’encourager, res­ter éveillée en continu mais je lui demande de res­pec­ter mes néces­saires moments de d’évasion !

Quel poids repré­sente le passé dans votre oeuvre ?
Je garde le sou­ve­nir d’impressions engran­gées depuis mes pre­miers mois de vie. Je n’oublie pas les per­sonnes de ma famille que j’ai connues. J’ai conscience d’être la mémoire de la famille. Et le regard de l’enfant était Amour… je pro­mène dans ma vie ma lignée d’amour et je n’en suis pas qu’un seg­ment. J’ai connu de nom­breuses tra­hi­sons, tra­versé des situa­tions incom­pré­hen­sibles par­se­mées de pour­quoi. J’ai porté des far­deaux qui n’étaient pas les miens, j’ai endossé des fautes que je n’avais pas com­mises… mais ma filia­tion (comme mon ami­tié) est don­née à vie.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Le visage de ma mère. La lumière qui filtre au tra­vers des volets. Un film, vu alors que j’étais très jeune et que je fai­sais sem­blant de dor­mir. J’ai long­temps pensé qu’il fai­sait par­tie de ma vie et j’ai décou­vert, bien plus tard en le revoyant, qu’il était exté­rieur à moi. Il s’agit des Hauts de Hur­levent (film en noir et blanc de 1939)

Et votre pre­mière lec­ture ?
Les contes de Tol­stoï qu’on m’avait offerts et en paral­lèle les Mai­gret de Georges Sime­non que je piquais à mon oncle.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Dan Ar Braz, Goran Bre­go­vic, Stra­vinski, Ravel… j’aime écou­ter la nature et le silence, aussi.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je relis rare­ment un livre, même s’il m’a plu, mais je retourne vers lui. J’en lis une page, je l’ouvre au hasard. C’est ainsi que s’établit une rela­tion sur le long terme avec les poèmes d’Emily Dickin­son, les livres d’Annie Dillard (ento­mo­lo­giste), le Tao Te King, le Yoga-Sutra de Patan­jali. Je vais vous citer trois livres qui m’ont accom­pa­gnée, un temps : “Pen­sées pour moi-même” de Marc Aurèle, “Cita­delle” de Saint-Exupéry, “Le châ­teau inté­rieur” de Sainte Thé­rèse d’Avila.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Sur la route de Madi­son’ (je me fais avoir à chaque fois… mais ce sont des larmes douces). “Brea­king the Waves”, un film de Lars Von Trier m’a bou­le­ver­sée. Sinon, “Elles… les filles du Ples­sis”, une fic­tion de 2017 de Béné­dicte Del­mas, avec San­drine Bon­naire, a fait remon­ter en moi tout le poids que por­taient les jeunes filles dans les années 1970. Période que j’ai tra­ver­sée avec mes révoltes personnelles.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une per­sonne à qui j’aimerais rendre son sou­rire. Alors je lui sou­ris… avant de m’éloigner du miroir et de ne plus y penser.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je crois que si je devais écrire à quelqu’un — une per­sonne que j’admire — je le ferais. J’ai l’écriture facile

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Je suis allée à Amherst où a vécu et écrit Emily Dickin­son. J’aimerais aller sur les pas des enfants Brontë dans le York­shire… Je rêve faci­le­ment et je m’imprègne des lieux.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche  ? 
Emily Dickin­son. Picasso pour sa recherche en pein­ture, sa créa­ti­vité, son éner­gie qui balayait tout ! Fran­cesca Wood­man pour son dyna­misme, l’originalité de son regard, ses com­po­si­tions pho­to­gra­phiques pleines de sym­bo­lisme où rien n’était figé. Emily Dickin­son se retrouve d’ailleurs dans une nou­velle publiée en début d’année dans la revue À l’index. Quant à Fran­cesca Wood­man je lui ai consa­cré un recueil de poé­sie, “Dans l’arc d’un regard de Carya­tide”, publié en 2019.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Renaître à la Joie car les der­nières années ont été dif­fi­ciles (mala­die de ma mère, vieillesse de mon père).

Que défendez-vous ?
Ne pas négli­ger les gestes en appa­rence insi­gni­fiants et posi­tifs, les accom­plir en silence. Dans l’eau sou­ter­raine de l’existence, ils se fondent et sou­tiennent la vie.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je le pense, et le fait de le don­ner est rédemp­teur, nous remet sur les rails. L’autre n’étant pas deman­deur, l’autre qui passe… si on lui donne même ce qu’on n’a pas, si on par­vient à se réjouir pour son bon­heur qu’on devine (sur­tout si celui-ci nous manque), si on accom­pagne de fleurs le che­min qu’il par­court sans qu’il n’en sache rien, cette forme de pen­sée nous rend à la joie de vivre, à la paix inté­rieure (cela va bien au-delà de la bonne conscience). En tout cas, je l’ai res­senti ainsi dans cer­tains moments très par­ti­cu­liers de ma vie.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Cela me fait sou­rire car mon der­nier fils a remar­qué que je lui réponds « Oui… » avant qu’il ait demandé quoi que ce soit. C’est devenu un jeu entre nous. Ce « OUI » signi­fie je suis là et je t’écoute.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Celui qui lira cette inter­view saura peut-être la poser.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 17 juin 2023.

1 Comment

Filed under Chapeau bas, Entretiens, Poésie

One Response to La passion d’écrire : entretien avec Carmen Pennarum

  1. Marine Rose

    Magni­fique entre­tien que j’ai eu plai­sir à lire d’une poé­tesse que j’aime beau­coup, merci !

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